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Carnets de voyages. Les escales du cinéma
Publié dans El Watan le 17 - 01 - 2008

Nouvelles fraîches du Caire : une louche de fouls ébouillantés dans un pain baladi, plat omniprésent et succulent. La table du boui-boui est trop bancale.
Je déjeune debout comme les habitants du Caire. Sur cette place, quadrillée par des ponts et des autoroutes, face à la Gare centrale, la célèbre Bab El Hadid immortalisée par Youcef Chahine, il n'y a pas de flâneurs mélancoliques comme sur les rives du Nil, mais seulement une foule mémorable et pressée, courant dans tous les sens dans les fumées de Ramsès Street. Je m'échappe de l'insupportable et pollué capharnaüm automobile. Il me faut retrouver la tribu des noukads misris (critiques égyptiens), aussi nombreux que bavards. Le café de l'Opéra House est un lieu agréable, surtout devant un mazbout sucré à la cardamone. C'est ici l'arrêt rituel des habitués du festival avant de pénétrer dans la salle de cinéma où se déroulent les projections de presse. Autour des tables, les discussions sont vives. Ce n'est pas l'orage qui menace le ciel du Caire toujours serein, ni les films qui passent, mais ce qui s'est passé à l'Université. Vacarme et répression, ont constaté les journalistes accourus ce matin de leurs rédactions. Les étudiants pensent que Moubarak cherche à imposer son fils comme successeur. Ils exigent l'abandon de ce qu'ils estiment être un coup bas. Clash avec la police, toujours en alerte. L'agitation se dissipe. On entre dans la salle de projection, que je quitte au beau milieu d'un navet marocain, insipide. Pas besoin d'attendre longtemps pour voir d'autres collègues sortir et attendre le film suivant. La suite, c'est avec la flamboyante Laila Alloui qui se trouve envoûtée par un derviche tourneur... Mais le danseur, interprété par Farouk Al Fishawi, artiste surpuissant et très séduisant dans la danse, n'est plus qu'un homme ordinaire quand le spectacle s'achève. Enflammée pendant toute la représentation, la star ne sait plus quoi penser de l'homme dans son habit ordinaire. La sublime alchimie du désir (de son désir violent) s'envole quand la musique s'arrête. Que va-t-elle faire de son chagrin ? Un très beau film masri que ce Alwan assama (Les couleurs du ciel) de Saâd Hendawi. Passent devant l'Opéra des kyrielles de taxis qui klaxonnent sans arrêt dans un tapage déjà inouï. Je préfère filer à pied par le pont Ettahrir pour rejoindre le Hyatt, fabuleux palace où le Festival du Caire a eu l'excellente idée (et les moyens) de loger ses invités... Ma chambre donne sur l'île de Giza et les branches du Nil. Quel spectacle qui fait hésiter entre les qualificatifs de pharaonique et hollywoodien ! Il y a une sorte de noblesse, de grande splendeur dans cette vue du Caire du vingt-troisième étage de l'hôtel monumental. Tôt le matin, les prêches de la mosquée voisine parviennent jusqu'ici à travers le brouillard. Mais, heureusement, pas le boucan de la circulation. Le matin, Le Caire n'est pas visible. La ville s'est évanouie. Envolée, disparue dans le paysage. Le brouillard se dissipe tout doucement. Puis Le Caire ressurgit. Belle et irrationnelle. Frénétique et soumise à son turbulent destin de mégapole unique au monde. Si parfait et huppé que soit l'hôtel, on y mourrait d'ennui si on oublie qu'on est au Caire... Il faut prendre garde quand on traverse les rues et pointer dehors tout le temps son nez. C'est l'approche de l'Aïd El Adha. Un semi-remorque maculé de boue transporte une cargaison de moutons vers on ne sait quelle destination. Une pyramide de choux et de radis naviguent sur un pick-up Mazda. Les ânes et les charrettes ont faussé compagnie au Caire. Tout en sirotant un petit thé, un homme porte sur sa tête un plateau de pains baladi. Un ambulant déploie un parapluie de bibelots, comme le faisaient avant les vendeurs de camelotes d'Alger. Question à plusieurs guinines : comment survit-on au Caire avec des revenus très bas ou pas de revenus du tout ? Le secteur privé est riche, les galeries marchandes sont rutilantes et débordantes de produits. L'économie parallèle fonctionne dans tous les secteurs. Mais le modèle économique misri ne va pas toujours de soi. Le gouvernement a tenté ces jours-ci d'augmenter les prix des produits de base et de supprimer les subventions. C'était mettre à genoux l'immense majorité du peuple. La famine totale. Le gouvernement a fait marche arrière, s'épargnant une situation dangereuse, imprévisible. Et pendant ce temps-là, le tourisme en Egypte a rapporté cette année sept milliards de dollars. Première source en devises. Quant au Canal de Suez, ce sont deux milliards de dollars qu'il a encaissés au premier semestre 2007. Soit l'équivalent de l'aide américaine en trois mois seulement. Avec cela, l'Egypte paie ses dettes, achète des produits en Europe (son premier fournisseur), aux Etats-Unis, au Japon… Selon la presse, l'investissement étranger s'élève à six milliards de dollars par an. L'Egypte va-t-elle s'en sortir ? Sa population a plus que doublé en l'espace de quarante ans. Elle est passée de 32 à 72 millions d'habitants. Plus de 40% de la population vit dans les villes, et au Caire surtout qui semble porter le poids du monde.
Le « Collègue » du Nil
Retour à l'Opéra House pour la suite du programme. Grand débat sur le film américain Rendition où Meryll Streep joue le rôle d'une conseillère du président Bush pour la lutte anti terroriste. Le personnage peut se résumer en une partisane de la torture à outrance. Le film a choqué en Egypte. Mais il fournit matière à réflexion sur la manière dont la communauté arabo-musulmane est traitée aux Etats-Unis. Sur le même sujet, c'est bon signe, des documentaires prolifèrent. J'en ai vu au Festival des Films du Monde de Montréal. Evidence, on échappe un peu dans la grande ville canadienne aux gaz d'échappement du Caire. Peut-être une similitude du point de vue des fleuves qui les traversent. Mais la comparaison avec le Saint-Laurent ne peut-être que formelle : le Nil est plus important, vital même, pour l'Egypte que son « collègue » canadien. Quand on arrive sur la grande Place des Arts de Montréal, on tombe sur le grand écran des séances en plein air du festival. Le calendrier est chargé et on échappe rarement aux salles où les films se succèdent presqu'à la chaîne. Montréal est un brassage de cultures où, parmi bien d'autres, la communauté de Maghrébins en impose quand même. Tant mieux car la programmation du festival est agrémenté d'images de nos rivages méditerranéens. Les résidents algériens ont fait cercle autour de films tels que Délice Paloma pour voir, en familles ou en groupes, Biyouna claquer des liasses de billets de mille dinars. Next stop : Bangkok pour prendre de plein fouet ses averses chaudes en plein milieu de la saison de la mousson. Bangkok, cité des trésors culinaires et des temples très anciens. La capitale du Royaume de Thaïlande a joué cette année une partie de poker avec sa manifestation cinématographique. Le nouveau gouvernement militaire, méticuleux sur les dépenses publiques, allait-il autoriser la tenue du festival ? La fête a eu lieu en juillet et laissé de bons souvenirs d'un programme dominé par la Chine, le Japon, la Corée du Sud et même la Malaisie qui produit des péplums et les revend sur le marché asiatique. Je garde de Bangkok une image de cité très sereine. La presse occidentale avait prévue le pire après le coup d'Etat militaire. Aucun uniforme n'es visible dans les rues de Bangkok. Les journaux locaux parlent de lutte contre l'incompétence et la corruption. L'argent des multinationales afflue toujours vers les banques. Et les moines bouddhistes flânent pacifiquement dans les rues. Bangkok n'est pas Rangoon où les moines birmans se sont rebiffés. Ici, c'est un long fleuve tranquille de religieux habillés de safran, leurs bols de riz tendus vers les passants. Sans l'ombre d'un regard vers les bars à scotch ni vers les salons de massage. Dernière escale cinématographique : Dubaï ! A Madinat Jumeirah, face à Bordj Al Arab, l'hôtel le plus cher du monde, ce spectacle, juste avant l'Aïd, de vitrines croulant sous l'or et les gadgets. Il y a aussi des stars égyptiennes et des cheikhates en hidjabs colorés. Le Festival de Dubaï déploie un accueil grandiose pour ses invités et montre de nombreux films arabes où la production libanaise est omniprésente. Pour mon prochain voyage à Dubaï, je devrai apprendre quelques rudiments de hindi et de bengali car ici, c'est aussi l'Inde sur le Golfe arabo-persique.


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