Encore une fois, le terrain des luttes syndicales a renvoyé tel un boomerang la représentation réelle du monde du travail aux visages des décideurs. La coordination nationale des syndicats autonomes (CNSA) qui a réussi la prouesse de faire fondre en son sein et dans une parfaite osmose 12 syndicats de la fonction publique, pour porter haut leurs doléances, aura brillamment passé l'épreuve. La rue, seul baromètre fiable à même de renseigner sur le poids des uns et des autres, aura tranché largement en faveur de ces empêcheurs de parler en rond. De fait, l'UGTA, décrétée arbitrairement comme seul et unique représentant du monde du travail, apparaît aujourd'hui comme un géant aux pieds d'argile. La centrale n'a finalement de puissance, dit-on, que celle de s'opposer aux revendications sociales et citoyennes de ces nombreux syndicats autonomes auxquels elle conteste le droit de cité avec la complicité évidente des pouvoirs publics dans le cadre d'un deal politiquement facile à décoder. Or la réalité est là, têtue : les syndicats autonomes disposent d'une capacité de mobilisation impressionnante qu'ils ont du reste étalée publiquement hier au niveau national. Il serait socialement contreproductif et politiquement suicidaire de tourner le dos à cette déferlante démonstration de force de la CNSA au nom d'un « unicisme » syndical éculé, voire anachronique dans un pays qui s'amuse presque à glorifier des partis microscopiques dès qu'ils entonnent le refrain maison du troisième mandat signifiant ainsi leur allégeance. Il est vrai que sur ce terrain-là, l'UGTA est irrémédiablement indépassable tant elle fait de sa proximité du pouvoir sa vraie feuille – de vigne ! – de route au détriment de sa vocation originelle de force revendicative. Il est d'ailleurs significatif d'entendre son patron Sidi Saïd remercier à chaque fois le président de la République d'avoir « concrétisé » les doléances des travailleurs, comme ce fut le cas des augmentations virtuelles des salaires. Ces messages récurrents de Sidi Saïd confirment au moins que la centrale syndicale ne doit rien en termes d'acquis sociaux à un quelconque combat sur le terrain, mais simplement au bon vouloir de Bouteflika. Faut-il noter que les décisions de la tripartite son souvent suspendues à « l'oracle » présidentiel alors qu'elles sont censées découler d'une âpre négociation entre les trois partenaires que sont les patrons, le syndicat (l'UGTA bien sûr) et le gouvernement ! En fait, ce ne sont que des parodies de négociations tant c'est au « vrai » décideur de cette tripartite, le président Bouteflika en l'occurrence, à qui revient le dernier mot. C'est dire que les statuts particuliers et autres augmentations des salaires contre lesquels le pays a été paralysé hier ont été avalisés et décrétés par le président lui-même. La centrale syndicale de Sidi Saïd – organiquement illégale puisqu'elle devait tenir son congrès en 2004 – est chargée de reprendre à son compte les acquis pour justifier son existence, non sans rendre la monnaie de sa pièce au chef de l'Etat... Sidi Saïd était en effet l'une des premières personnalités politiques à prier Bouteflika de postuler pour un troisième mandat. Dans la forme, cette revendication est quelque part logique dans le cadre d'un soutien pour service rendu. Mais dans le fond, elle constitue une dérive politique et syndicale. Il n'est pas inutile de rappeler que la centrale syndicale a signé un pacte économique et social dans lequel elle a souscrit à une obligation contractuelle de ne plus jamais recourir à la grève comme moyen de protestation. Les pouvoirs publics se chargeront en vertu de ce pacte de concrétiser administrativement, voire politiquement les « prétendus acquis sociaux » de ses affiliés. Les pieds et les poings liés, l'UGTA n'est désormais plus en position de hausser le ton face à un pouvoir politique qui l'a définitivement mise hors d'état de nuire. On comprend, in fine, pourquoi les pouvoirs publics, leur UGTA et l'ENTV maudissent les syndicats autonomes qui tirent leur existence des souffrances des populations et des humiliations que subissent les catégories professionnelles qu'ils représentent. Honnêtement. En cela, la démonstration de la coordination des syndicats autonomes est une victoire éclatante que les pouvoirs publics gagneraient à méditer avec toute l'attention voulue. La rue a tranché. Sans appel.