Les laïcs italiens n'en croient pas encore leurs yeux. Il y a longtemps qu'ils n'avaient savouré une victoire si éclatante sur les partisans d'une Italie sous la perpétuelle influence de l'Eglise catholique, car Joseph Ratzinger, le pape allemand, n'est pas homme à se retirer du terrain d'une confrontation, ni un souverain pontife qui s'avoue vaincu face aux attaques des laïcs, aussi féroces soient-elles. L'homme, philosophe et ancien cardinal dogmatique et conservateur, est têtu et irrite même par son assurance, que ses détracteurs assimilent à de l'arrogance. Mais alors que la révolte des scientifiques bouillait dans les amphithéâtres de plusieurs universités italiennes et qu'étudiants et professeurs préparaient leurs irrévérencieuses banderoles pour signifier au pape qu'il est persona non grata dans leur lieu de savoir, le Vatican a surpris tout le monde en annonçant que Ratzinger a décliné l'invitation de la direction de la Sapienza. Benoît XVI devait prononcer un discours durant la cérémonie d'inauguration de l'année académique 2007-2008. Soulagement et joie parmi ceux qui considéraient la visite du chef de l'Eglise à la Sapienza comme « sacrilège », car ce dernier avait justifié en 1990 le procès intenté par le Saint-Office au savant Galilée en 1616. « Ce fut un procès raisonnable et juste », avait dit le cardinal Ratzinger, au grand dam de tous les scientifiques du monde. La persécution de Galilée (Galileo Galilei), accusé d'hérésie par l'Eglise, fait partie de l'histoire des conflits ardus entre la raison et l'obscurantisme. Le physicien défendait la thèse copernicienne et affirmait que la Terre était bien ronde et que c'est elle, et non le Soleil, qui tournait autour de ce dernier. Les inquisiteurs de l'Eglise l'obligèrent à revenir sur ses découvertes et à se désavouer. C'est l'une des raisons qui a poussé une centaine d'universitaires, surtout des physiciens, à mener une grande contestation pour bloquer la visite du pape à leur université. Dès l'annonce de l'invitation, par le recteur, de Benoît XVI, une grande pancarte avait fait son apparition devant l'entrée de la Sapienza. « Le savoir est otage du pape. La science n'a besoin ni de prêtres ni de pères », ou encore « Nous ne voulons pas du pape dans le temple de la science, car il est trop réactionnaire », disaient les manifestes en guise de bienvenue. Le renoncement de Benoît XVI a été accueilli par les autorités italiennes avec embarras, alors que les laïcs ne cachent pas un certain triomphalisme devant ce qu'ils considèrent « une victoire sur l'ingérence de l'Eglise dans les affaires des Italiens ». Et le quotidien La Repubblica, de centre gauche, n'hésite pas à titrer en première page, dans son édition d'hier, « Le pape : Non à la Sapienza » (savoir en italien). Pernicieuse conclusion que partagent des millions d'Italiens, las d'assister aux incessantes attaques que les hommes d'église ne cessent de porter contre la laïcité de l'Etat, jusqu'à remettre en cause les lois et les acquis sociaux arrachés par les féministes italiennes, au prix de dures et courageuses batailles pour la consolidation des libertés individuelles. Le souverain pontife aura tout le loisir de méditer la célèbre phrase qu'on attribue faussement à Galilée et qu'il n'aurait jamais prononcée, à en croire les historiens : « Et pourtant elle tourne ! »