Le nouveau et premier Olivier d'or d'interprétation masculine au Festival amazigh de Sétif a été décerné à un comédien atypique. Médecin de formation, acteur de vocation, Salem Aït-Ali Belkacem est au sommet de son art et ne risque de redescendre. Un talent à l'état brut. A 40 ans, habitué au rôle de bandit d'honneur, il incarne une nouvelle génération d'acteurs. Dans Arezki l'indigène, il crève l'écran. Une présence impressionnante. Vous attendiez-vous à ce prix ? J'en rêvais plutôt, depuis des lustres. Tous les films présentés durant le Festival étaient de haute facture et la compétition était si serrée qu'il était difficile d'en faire un pronostic. La standing ovation pendant près de 5 minutes observée à la fin de la projection du film Arezki l'indigène suffisait amplement à mon bonheur. Mais je ne vous cache pas que je voulais ce prix, d'abord pour la symbolique qu'il véhicule (c'est le premier prix d'interprétation masculine de toute l'histoire du Festival) ensuite, parce que, au fond de moi, je me disais que ce prix allait me booster, m'encourager à aller de l'avant et offrir le meilleur de moi-même pour le cinéma algérien. C'est mon premier prix et j'espère qu'il y en aura d'autres, et je suis tout autant content d'être reconnu et récompensé par les miens dans un festival du film amazigh. Comme quoi, on peut être prophète dans son pays (rires) ! Comment vous êtes-vous approprié le rôle pas très facile d'Arezki L'Bachir (bandit d'honneur) ? Je ne sais si c'est une appropriation, mais j'étais très content et fier d'avoir campé le rôle d'un combattant. Et je ne remercierai jamais assez Djamel Bendeddouche (réalisateur du film) de m'avoir fait honneur de sa confiance et de m'avoir donné l'opportunité d'incarner un personnage aussi illustre. J'étais conscient de la lourde responsabilité que je portais. Par moment, des doutes pesaient sur moi, la peur de mal faire, de ne pas être à la hauteur des attentes et du personnage lui-même. Mes maigres connaissances sur la vie d'Arezki (Je ne le connaissais que de nom et de renom). Vous devinez donc que ça n'a pas été facile. Mais mes nombreuses discussions avec le réalisateur, mes recherches personnelles, la qualité élevée de mes amis comédiens avec lesquels je m'entendais très bien ont vite fait de dissiper mes incertitudes. Encore, faut-il rajouter que l'éternelle remise en cause de soi et la recherche de la perfection sont deux de mes atouts les plus importants. Vous avez un physique impressionnant, vous êtes très grand et plutôt bien baraqué. Est-ce un atout ou un handicap pour le cinéma ? Rires. Génial comme question ! Je vous remercie pour le compliment. En ce qui me concerne c'est un atout majeur dans le cinéma, mais il n'y a pas que ça. La passion – j'allais dire l'amour – pour le cinéma, le don de savoir transmettre ses émotions aux autres et le sens de l'observation sont d'autres atouts. Même la timidité est un atout En fait, c'est un tout. Il suffit seulement de trouver le juste dosage. Et je considère que chaque être humain est un comédien en soi. La vie n'est-elle pas, d'ailleurs, une pièce de théâtre où chacun joue son rôle. Dans le cinéma, il y a cette particularité de jouer non seulement son rôle, mais en plus celui des autres. Comment avez-vous été choisi pour jouer dans L'Ennemi intime ? C'est le fait d'un heureux hasard. Alors que je me trouvais à Tizi Ouzou, j'apprends par un ami, Dahmane Aïdrous, comédien lui aussi, qu'un casting est organisé à la maison de la culture de Tizi Ouzou. On se présente mais on nous signifia gentiment que l'on ne cherchait qu'un vieux, un enfant et une femme. Avant de faire demi-tour, la directrice de casting, Christel Baras, ayant sans doute vu notre déception, nous a demandé de rester et elle nous filma tout en discutant. Mais elle prit la précaution de nous prévenir de ne pas trop espérer. Quelques mois plus tard, je reçois un coup de fil d'un homme me priant de le rejoindre à la maison de la culture. Là je revis Christel, et elle m'annonça que le réalisateur voulait absolument me voir. Waouh ! Une semaine plus tard, je fis la connaissance de monsieur Florent Siri. Et là, après plusieurs tests, il m'engage et ce fut le bonheur d'évoluer aux côtés de stars d'envergure internationale, tels Benoît Magimel, Albert Dupontel, Fellag, Aurélien Recoing, Lounès Tazaïrt, etc… Comment êtes-vous venu au cinéma ? C'est une longue histoire d'amour avec le cinéma qui remonte à mon enfance. Alors que j'étais écolier, je ne cessais de faire le guignol et d'imiter les personnalités politiques et artistiques de l'époque. J'étais pauvre et j'avais le don, le courage, la légèreté ou je-ne-sais-quoi, de rire de ma misère. Je ne le savais pas mais ça m'aidait beaucoup à supporter et à survivre. J'avais deux challenges pour prendre ma revanche sur la vie : réussir dans mes études et faire du cinéma ou du théâtre. Je les ai faits les trois. Pour le cinéma, alors que j'étais étudiant à l'Université de Tizi Ouzou, j'appris qu'un casting pour un film d'expression amazighe se faisait. C'était pour Machaho de Belkacem Hadjadj. J'ai présenté ma candidature et je fus retenu pour le rôle d'Usalas, un bandit d'honneur. C'était mon premier pas dans le monde du cinéma. La plupart des films amazighs ont le regard tourné vers le passé, peu soucieux du présent. Comment expliquez-vous cette obsession du passé ? Une façon de vouloir s'approprier une identité apaisée enfin ... Je crois que c'est une lapalissade de dire qu'il ne saurait y avoir de présent sans le passé. Dans le cas de notre culture, nous avons, pendant trop longtemps, souffert de la négation du passé et des contre-vérités sur nos origines, notre histoire et les hommes qui l'ont faite. Nous avons failli être noyés, greffés, plus que ça, assimilés à des cultures qui nous étaient étrangères. La langue et l'identité amazighes ont été reniées sur leur propre terre. Ce qui explique cette obsession existentielle pour le passé. Notre histoire a toujours été dite et écrite par les autres, et elle a été tout le temps biaisée, voire carrément orientée. De plus, je pense que mettre sur écran notre passé n'est que justice rendue pour tous ces hommes et femmes qui l'ont fait. Ceci dit, cela n'empêche pas qu'il y ait conjointement des films sur le présent et pourquoi pas sur l'avenir. On peut le faire car il y a des potentialités immenses en Algérie, pour peu qu'on leur donne la possibilité de travailler et de décomplexer les mécanismes institutionnels et intellectuels. Vous êtes-vous déjà engagé dans d'autres projets ? Oui, je suis sur un projet qui me tient vraiment à cœur et qui m'ouvrira les portes d'une carrière internationale. Il s'agit d'un film en anglais de Zaya Ramtani. Le film s'intitule Out of silence. Excusez-moi de ne pas pouvoir en dire d'avantage. Je souhaite vivement que le projet aboutisse. Pour ma part, je m'attelle à parfaire mon anglais et à continuer à rêver.