Des malades soignés au service d'ophtalmologie à l'hôpital de Beni Messous pour des affections de la rétine, comme la dégénérescence maculaire, ont perdu la vue (un œil) suite à l'injection intra-vitréenne d'un médicament. Le produit en question (Bevacizumab) dont l'utilisation en ophtalmologie se répand dans le monde, et des études pilotes qui ont porté sur des milliers de malades ont montré des résultats positifs, possède en Algérie seulement une autorisation de mise sur le marché (ATU) pour le traitement des cancers colorectaux métastasés. Selon des spécialistes, la principale complication des injections intra-vitréennes est l'infection. Laquelle peut être, selon eux, traitée avec des antibiotiques, mais elle reste grave pour la vue et peut exceptionnellement conduire à la perte de l'œil. Ces patients qui n'arrivent pas à comprendre ce qui leur est arrivé se disent être aujourd'hui livrés à eux-mêmes et personne ne s'inquiète sur leur sort. L'affaire qui remonte à juillet 2007 est actuellement entre les mains de la justice. « Je me suis présenté le 7 juillet 2007 au service d'ophtalmologie à Beni Messous pour renouveler mon rendez-vous, mon médecin traitant me demande de patienter dans la salle d'attente pour m'administrer un nouveau médicament. C'est une injection. Je croyais que c'était de la Visudyne que j'avais l'habitude d'avoir et qui était en rupture. Je me suis alors appliqué. Dans la salle, des patients étaient déjà là pour cette fameuse injection miracle. A tour de rôle, les patients sont appelés dans le bloc par le même médecin. L'injection a été finalement fatale pour nous tous et nous n'avons même pas été informés des risques qui pouvaient en découler. Au lendemain de ce traitement, je ne voyais rien. J'ai été hospitalisé dans le service du 9 juillet au 4 novembre avec 9 autres patients. Le médecin m'a expliqué que j'ai eu une infection qui, finalement, s'est aggravée et a évolué vers l'atrophie du globe. Je ne vois plus rien maintenant, je dois aussi traiter mon deuxième œil. Je vais bientôt me rendre en Tunisie pour une intervention », nous affirme un patient, O. A., qui s'est présenté à notre rédaction en compagnie d'une autre patiente, exhibant un certificat médical signé par le chef de service d'ophtalmologie qui confirme ses dires. « Le patient a bénéficié d'une injection intra-vitréenne des antiangiogéniques, mais il a fait une infection endoculaire (endophtalmie) au niveau de l'œil gauche, ayant évolué vers l'atrophie du globe. Le patient étant suivi pour une forte myopie compliquée de membres néovasculaires au niveau des deux yeux. L'acuité visuelle au niveau de l'œil droit est à un dixième sur une membrane néovasculaire rétrofovéolaire », lit-on sur le certificat médical. « Nous sommes livrés à nous-mêmes » Ils ont appelé, poursuit son accompagnatrice traitée le jour même, les malades à se présenter à cette date pour un nouveau traitement qu'« ils ont ramené des Etat-Unis. C'est pour cette raison qu'il y avait ce jour-là toutes ces personnes. Après ce qui nous est arrivé, ils nous ont promis de nous prendre en charge soit en Algérie soit à l'étranger. C'était nous qui consolions notre médecin affolé par ce qui nous est arrivé. Mais finalement, rien n'a été fait pour nous. Nous sommes livrés à nous-mêmes. Ils ne veulent même plus nous recevoir », dit-elle en nous montrant son œil gauche rétréci. « Nous avons adressé des lettres à toutes les autorités de ce pays, nous n'avons eu aucune réponse. Après sept mois, personne n'a cherché après nous », regrette O. A., comptable de fonction qui risque de perdre son emploi. Dans le compte rendu d'un autre patient signé par le médecin qui a injecté le produit à la trentaine de malades, il est mentionné que la patiente B. B. a bénéficié d'une injection de Bevacizumab (Avastin) (ndlr) pour dégénérescence maculaire liée à l'âge compliquée de néo-vaisseaux à prédominances occultes. Dans les suites immédiates, le patient a présenté une endophtalmie aiguë compliquée d'hypertonus oculaire. Interrogé sur les raisons de ces infections qui ont fait perdre la vue à ces malades, le Pr Nouri, chef de service à l'hôpital de Beni Messous, a tenu à préciser que « seulement onze patients ont eu une endophtalmie (il s'agit d'une infection de l'ensemble des tuniques oculaires d'origine exogène) par inoculation directe du germe (traumatisme oculaire, chirurgie oculaire voire ulcération cornéenne) ou endogène (suite à une septicémie, une bactériémie, ndlr) ». Mauvaises conditions d'asepsie « Les vingt autres se sont bien sentis et l'état de leurs yeux s'est bien amélioré après un traitement d'antibiothérapie. Effectivement, nous avons constaté ces infections d'origine nosocomiale et qui n'ont rien à voir avec le médicament injecté. Des malades opérés pour la cataracte, à ce moment-là, ont été aussi touchés par ces infections nosocomiales. Nous leur avons proposé cette injection et nous les avons informés qu'il n'y a plus rien à faire pour eux. Ils étaient pour la majorité en cécité. Leur acuité visuelle était pratiquement d'un dixième. » Le traitement a été administré selon les règles, malheureusement l'état du bloc n'offrait pas les bonnes conditions d'asepsie. « Le produit en question, a-t-il noté, est utilisé de par le monde pour le traitement de certaines affections ophtalmologiques telles que la dégénérescence maculaire liée à l'âge, chez les diabétiques et actuellement l'indication est posée pour traiter la rétinopathie chez les prématurés. » Quant au suivi de ces malades, le Pr Nouri affirme qu'effectivement certains d'entre eux nécessitent des compléments de prothèse et de chirurgie mais « comme l'affaire est actuellement en justice, nous avons les mains liées », a-t-il ajouté. Le directeur de l'hôpital, Omar Belrdjouane, qui a été installé en décembre 2007, et le ministère de la Santé interrogés sur la situation et le devenir de ces malades signalent qu'ils n'ont rien à dire puisque l'affaire est en justice. Pour le président du conseil de l'Ordre des médecins, non encore saisi de cette affaire, il affirme que l'Ordre des médecins a la compétence et l'obligation de s'informer sur toute plainte émanant des supposées victimes. Il déclare qu'il a la charge de constituer un dossier en prenant la réalité des faits. Concernant ce cas de figure, il semblerait qu'il s'agit d'une infection dite nosocomiale relative à l'état des locaux et du matériel utilisé dans ce service d'ophtalmologie inadapté par rapport au nombre croissant de malades accueillis. L'affaire étant en justice, nous attendons les conclusions, et les victimes ont la liberté de saisir le conseil de l'Ordre des médecins d'Alger.