En 1961, Henri Pouillot arrive en Algérie en tant que réserviste de l'armée française. Il est directement affecté à la villa Susini, où il découvre les pires tortures pratiquées contre des résistants algériens. « Mes nuits sont toujours peuplées de cauchemars, même si c'est moins qu'avant », a-t-il témoigné. Il revisitera la villa 40 ans après. Une villa où il retrouvera intacte la salle de torture et les impacts de balles. Ses mémoires et son combat, il les a consignés dans deux livres : Villa Susini et Mon combat pour la torture. Vous avez écouté durant ce colloque le témoignage de Mme Ighil Ahriz, ainsi qu d'autres victimes de la période coloniale, qui réclament justice pour les tortures et viols subis durant cette période. De quelle manière la France peut-elle rendre justice ? Je crois que la justice principale c'est la reconnaissance et la condamnation des crimes contre l'humanité commis au nom de la France durant toute cette période, et que le débat qui a été lancé à l'initiative du témoignage de Mme Ouiza Ighil Ahriz permette de libérer dans ce domaine toutes les difficultés de mémoire, pour qu'on puisse arriver à la condamnation de façon définitive de toutes les pratiques de la torture pour quelque raison que ce soit. La définition juridique de ces pratiques est donc un crime contre l'humanité, selon vous ? Il existe des textes internationaux qui définissent ce qu'est la torture. Mais il est tellement difficile de définir aujourd'hui qui et combien de personnes ont été torturées. Je ne sais pas ce qu'on pourrait faire à ce sujet. En revanche, ce qui est insupportable, c'est que ces crimes contre l'humanité ne sont toujours pas condamnés officiellement. Cela me semble être le point le plus fort, car la demande prioritaire de beaucoup d'Algériens que j'ai rencontrés et qui ont été torturés durant cette période. C'est la reconnissance de la dignité morale qui leur a été volée. La condamnation d'une façon très claire, très forte, très difficile de ces crimes me semble plus forte et plus importante qu'une compensation financière car la torture est tellement sournoise, dégradante. Pourquoi la France ne veut-elle pas franchir cette ligne ? Il semble qu'il y a plusieurs aspects. D'une part, un certain nombre de gens du pouvoir politique en est concerné, le PS, héritier du SFIO, et l'UMP, héritière du gaullisme, ont géré cette période de la Guerre d'Algérie. Actuellement, un homme politique en fonction en France, Pierre Mesmer, ministre sous de Gaulle durant la guerre d'Algérie, a une responsabilité puisque c'est lui qui a donné le feu vert pour que les militaires français aillent instruire les militaires américains des techniques de torture. Donc, il y a encore des responsables. Chirac était lui-même officier durant la Guerre d'Algérie. En revanche, d'après tous les témoignages, il n'a pas du tout participé aux tortures. Les Algériens qui ont été arrêtés par ses services ont été remis aux DOP, les services secrets qui pratiquaient la torture. Lui, il n'a pas une responsabilité directe. Il y a une gêne de ceux qui ont eu des responsabilités ou hérités de leur mouvement dans ce domaine. Aussi, le problème se pose pour beaucoup de militaires qui gardent une influence importante, comme le général Schmitt, qui était le premier militaire de France pendant une période, qui se considère solidaire des militiares qui se sont « salis les mains », selon son expression, et qui considère aujourd'hui qu'il serait nécessaire d'avoir un cadre juridique pour définir le mot trture, ou le cadre d'interrogatoire sévère ou musclé, toujours selon son expression. Ce n'est pas autre chose que la torture. Faut-il considérer comme un combat perdu, le jugement des personnes reconnues coupables de tortures, en raison de l'existence d'une loi amnistiante entrant dans le cadre des Accords d'Evian ? Ce n'est pas forcément tout à fait perdu, puisqu'il y a eu un débat, mais qui n'a pas pu aboutir jusqu'à maintenant pour qu'il puisse y avoir une juridiction de La Haye, dans ce but. Puisque la juridiction de La Haye, apparemment, semble dans certains cas refuser les accords d'Etats stipulant de ne pas poursuivre les crimes contre l'humanité commis dans les conflits. Mais, cela est une bataille de juriste qui me dépasse. De toute façon, la majeure partie des principaux responsables sont décédés. Donc, il reste la valeur symbolique de simplement condamner quelques-uns, je pense, par exemple, à Aussaresses qui, non seulement reconnaît ces faits, mais n'a aucun remord. Personnellement, avec les associations avec qui j'ai des rapports privilégiés, je me suis battu pour qu'il y ait une procédure judiciaire, parce qu'elle peut durer quatre ou cinq ans pour qu'on arrive peut-être à pouvoir condamner à quelques milliers d'euros, dans le meilleur des cas, ou peut-être une peine symbolique de prison, mais sans plus. L'ARAC, l'organisation que vous présidez, en collaboration avec 23 autres, ont initié une démarche auprès des autorités françaises afin d'arriver à cela. Où en est l'opération ? Au départ, on a démarré avec six organisations : l'Association des anciens combattants pour la cause anticoloniale (AACCA), l'Association républicaine des anciens combattants (ARAC), la section France d'Amnesty International, la Ligue française des droits de l'homme, le MRAP et l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT). Ce sont ces dernières qui ont démarré le premier appel, et au mois d'août dernier, il y a eu 17 autres associations dont la Ligue internationale des droits de l'homme. On est en train d'essayer de donner suite à cette mobilisation pour qu'il y en ait beaucoup plus derrière.