Elle traque les criminels de guerre depuis des années. Son combat singulier en a fait une icône, bien qu'elle se défende d'avoir pris la place de quiconque. « Je ne fais que mon devoir. Les souffrances subies ont besoin d'être reconnues. J'ai été suffisamment marquée pour exiger réparation et pour que tous ceux qui nous ont fait du mal payent un jour. » Sans pitié pour ses bourreaux, ses tortionnaires, on a l'impression qu'elle porte tous les suppliciés du monde sur son cou, à voir l'acharnement qu'elle met pour défendre cette cause. Dure envers ceux qui l'ont humiliée, elle sait être tendre et reconnaissante envers ceux qui, dans le même camp de l'ennemi d'alors, ont agi avec humanité. Comme par exemple ce capitaine médecin du nom de Richaud qui l'a arrachée des griffes des tortionnaires et auquel elle rend un bel hommage. C'est dire que justice n'est pas vengeance. « C'est quand j'ai appris sa mort que j'ai décidé de rompre le silence. Je regrette de n'avoir pas pu le remercier avant. J'ai retrouvé le cimetière à Cassis dans le midi de la France où il est enterré. Je suis allée me recueillir sur sa tombe. Je ne cesserai de le remercier ainsi que le général de la Bollardière qui avait dénoncé la torture depuis 1956. » Sur la tombe du premier, elle a écrit ces mots simples : « Avec toute ma gratitude. Merci. Ouiza. » Démolition psychologique « Je souhaite que les Français sachent qu'en Algérie, entre 1954 et 1962, il ne s'est jamais agi d'une opération de maintien de l'ordre, ni d'une pacification. J'écris pour rappeler qu'il y a eu une guerre atroce en Algérie et qu'il n'a pas été facile pour nous d'accéder à l'indépendance. Notre liberté a été acquise au prix de plus d'un million de morts, de sacrifices inouïs, d'une terrible entreprise de démolition psychologique de la personne humaine. Je le dis sans haine. Le souvenir en est lourd à porter. Je souhaite que mon témoignage en provoque d'autres des deux côtés de la Méditerranée. Que les langues d'anciens appelés et d'officiers français, qui ont vécu cette guerre et survécu, se délient… » Chirac qui avait fait la campagne d'Algérie n'a jamais voulu entendre parler de repentance. Son successeur qui sera à Alger dans les prochains jours, non plus. « Sarkozy vient à Alger pour discuter de la fameuse union méditerranéenne dont le premier bénéficiaire est sans doute Israël. La France reconnaît les autres massacres mais jamais les siens. Elle demande pardon aux Arméniens pour un génocide qu'elle n'a pas commis. Elle en fait de même pour l'holocauste en ne ratant aucune occasion pour montrer sa compassion aux juifs. Par ailleurs, elle ne veut pas reconnaître les massacres perpétrés en Algérie qui sont un véritable crime contre l'humanité. » Pourquoi s'est-elle indignée ? Les autorités françaises se refusent de reconnaître les enfumades, les exterminations des villages algériens depuis 1830. « Pourtant, ces faits sont connus ! Notez bien que, jusqu'à aujourd'hui, les Français n'ont pas voulu nous remettre la cartographie des mines antipersonnel qui continuent de tuer nos enfants. De plus, il faut bien qu'un jour l'ancien occupant nous restitue nos archives qui constituent notre mémoire », plaide-t-elle. Née à Oudja, le 22 août 1936, où son père Saïd, militaire avait été affecté, Ouiza sera élevée dès l'âge de 5 ans à La Casbah d'Alger. Elle ne tarit pas d'éloges sur son paternel qui incarne, selon elle, « la rigueur, la sévérité, la droiture et le nationalisme. Il nous disait travailler bien à l'école, jamais un fils de colon ne doit vous dépasser en notes. C'est mon père qui nous a inculqué les valeurs et l'amour de la patrie ». C'est sans doute pourquoi toute la famille s'est trouvée embarquée dans le mouvement national, impliquée directement dans la guerre. « En 1957, en plus du bombardement de notre boulangerie à Clairval, les neuf dixièmes de notre famille croupissaient en prison », fait-elle savoir. Engagée à 21 ans Engagée à 21 ans auprès des moudjahidine, alors que la bataille d'Alger battait son plein, elle fuit au maquis. Le 28 septembre 1957, la jeune femme est grièvement blessée dans une embuscade tendue par l'armée française à Chebli. Rapatriée d'urgence, dans un hôpital, elle passera plus de 3 mois dans les locaux de la 10e D à Alger. Torturée par le capitaine Graziani, Louisette n'a pas avoué… Elle dira plus tard qu'elle ne pardonnera jamais à ses tortionnaires qu'elle traquera partout en leur faisant des procès, comme Schmitt connu pour être le tortionnaire en chef à Alger. C'est que parallèlement à ses études secondaires, Louisette contribuait dans la boulangerie de son père à cacher les armes, à envoyer des médicaments aux moudjahidine. « A travers ses traits d'Européenne, elle passait facilement à travers les mailles des filets tendus par les paras de Bigeard et Massu. Elle ira même jusqu'à utiliser un officier, Spati, amoureux d'elle pour faire passer des fidayine, des barrages militaires. A l'âge où d'autres pensaient au mariage, elle rêvait d'Algérie ! » Toute sa famille était impliquée dans la lutte de libération. Après l'arrestation de sa sœur Malika et de son groupe, le 8 juillet 1957, Louisette entre dans la clandestinité. Fichée et recherchée, il lui fallait quitter Alger pour Chebli, dans la Mitidja, où un accrochage avec les militaires français lui vaudra 5 balles dans le corps. Elle sera torturée, pratique qu'elle ne cessera de dénoncer tout au long de ces 40 dernières années. « Je n'ai pas cessé de dévoiler les abjects et ignobles actes de torture qu'on m'a fait subir. Cependant, nous vivions dans une société traditionnelle dans laquelle il m'était très difficile de révéler et d'écrire tout ce que j'avais subi, pendant les séances de torture », a-t-elle déclaré. Un livre pour ne pas oublier Et puis, elle a écrit un livre pour, dit-elle, « mettre en exergue ce qu'est le colonialisme français et surtout dire à la jeunesse d'aujourd'hui que l'indépendance algérienne ne nous a pas été offerte par la France ». Son combat solitaire mais moins solidaire est mené avec la même détermination, même si parfois elle encaisse des coups comme par exemple la relaxe de Schmitt qu'elle a attaqué et qui avait contesté son témoignage sur la torture dans son livre Algérienne. « Je l'ai gagné, il m'a gagné, mais ce n'est que partie remise. Je vais aller au-delà des juridictions françaises. Il y a la commission européenne et le TPI. Je ne lâcherai pas. Les cicatrices sont si profondes qu'on ne peut les effacer. Ma douleur, je l'ai transmise à mes enfants. » « Dans mon combat, ajoute-t-elle, j'étais pratiquement seule jusqu'en 2005 où les autorités algériennes se sont impliquées. » « Sans doute la loi du 23 février 2005 les a secoués », confesse-t-elle en un demi-sourire. Certains même la regardent de travers. Elle se réjouit, cependant, des voix qui se sont élevées de l'autre côté de la rive pour dénoncer l'innommable comme cet ancien appelé français Henri Rouillot qui était affecté à la villa Susini, où il a découvert les pires tortures. « Mes nuits sont toujours peuplées de cauchemars, même si c'est moins qu'avant. » Il a revisité la villa, 40 ans après. Ses mémoires, son combat, il les a consignés dans deux livres Villa Susini et Mon combat contre la torture. Rien qu'à l'évocation de ce triste épisode, les souvenirs atroces remontent à la surface. Louisette pense aux centaines d'Algériens qui ont transité par cette « maison des supplices » et aux traumatismes endurés. « Nul n'a le droit d'oublier et les coupables paieront un jour. C'est mon combat et il n'est pas près de se terminer. » PARCOURS Ancienne militante du FLN, Louisette Ighilahriz, 67 ans, ne se déplace plus sans une béquille depuis qu'elle a été mitraillée dans une embuscade, en septembre 1957. Transférée dans un état grave à l'état-major de la 10e division parachutiste (DP) du général Jacques Massu, elle y a été torturée et violée pendant trois mois, avant d'être sauvée in extremis par un médecin militaire, horrifié par ses marques de sévices. Son récit, publié le 20 juin 2000, avait ouvert de façon totalement inattendue le débat sur la torture et les exactions commises par l'armée française pendant la guerre d'Algérie. Louisette, son nom de guerre, est née le 22 août 1936 à Oudja (Maroc) mais a vécu dès l'âge de 5 ans à La Casbah d'Alger.