Le système des primaires – avec son lot de meetings festifs, voire folkloriques – et l'entrée déclarée de puissants journaux à soutenir – dans leurs papiers d'humeur et conviction – tel ou tel candidat sont deux singularités frappantes du système politique américain. Dans la préparation du 5 février prochain, appelé « Super mardi », qui verra l'organisation de primaires simultanément dans une vingtaine d'Etats le puissants quotidien New York Times (challenger direct de l'autre, le Washington Post) vient de marquer son choix, dans une déclaration éditoriale. Les éditorialistes ont choisi leurs candidats à l'investiture des deux partis. Hillary Clinton, côté démocrate est choisie : "A l'approche des primaires cruciales du 5 février prochain, le comité éditorial du New York Times recommande vivement aux électeurs démocrates de voter pour Hillary Clinton, afin que celle-ci devienne la candidate du parti à la présidentielle du mois de novembre", est-il affirmé au sein des pages éditoriales du quotidien. La singularité des journaux des Etats-Unis réside là, sous le principe de la sacro sainte loi déontologique, non écrite mais souvent respectée, au moins dans sa forme : faire le départ clair entre les papiers d'humeur et de conviction (édito, chronique, caricature, commentaire), absolument libres dans le respect des personnes, et les articles d'information, imposant leur véracité des faits et croisement des sources. En argumentaire central à leur plaidoirie, les éditorialistes du New York Times, historiquement à l'opposé du conservateur Washington Post ne ménagent pas les « qualités » de son rival. Ils écrivent : "En choisissant Hillary Clinton, nous ne nions pas le talent de Barack Obama ni l'enthousiasme qu'il a su susciter. L'idée que, pour la première fois, un Africain- Américain puisse devenir le candidat du Parti démocrate est exaltante. Mais l'idée qu'une femme puisse le devenir l'est tout autant. Tous deux promettent de mettre un terme à la guerre en Irak. Ils promettent également de restaurer les libertés civiles et de mettre fin à la politique de division qui a caractérisé les deux mandats de George W. Bush à la Maison-Blanche." Le journal ne s'en tient pas à l'appui ferme accordé à Hillary Clinton : un autre éditorial soutient, en éventuelle alternative, un report sur le candidat républicain John McCain, en soulignant qu'ils « sont en désaccord avec tous les républicains dans la course. Ces candidats n'ont aucun plan pour rapatrier les troupes d'Irak et s'appuient sur des théories économiques éculées. Le sénateur John McCain est le seul candidat républicain qui mettra fin à la manière dont Bush a gouverné ce pays au nom d'une petite minorité. » Les éditorialistes du journal, comme c'est dans le rituel de ces prises de position déclarée vont jusqu'à s'interroger : « Pourquoi, en tant que quotidien new-yorkais, ne prenons-nous pas fait et cause pour notre ancien maire Rudy Giuliani ? Nous avions pourtant soutenu sa réélection à la mairie en 1997, après qu'il eut montré qu'une ville sale, dangereuse et réputée ingouvernable pouvait devenir une cité calme, ordonnée et propre. Le Giuliani d'aujourd'hui est un homme étroit d'esprit et vindicatif. » Les observateurs avisés notent que les scores remportés par le candidat noir challenger de Hillary Clinton, Barack Obama, indiquent de nombreux signes d'une Amérique qui se ressaisit de la récession qui la guette et de son enlisement en Irak, cependant que son prestige international s'est érodé. C'est une nouvelle Amérique plus colorée, métissée, dont les séries télévisées d'Hollywood ont depuis des années déjà l'avènement. Si un Noir accédait à la Maison-Blanche la révolution serait, écrit-on : « Un total renversement d'image, aussi fécond et nécessaire que lorsque l'Amérique était devenue, avec Roosevelt, la locomotive mondiale du welfare state, de la protection sociale, ou s'était identifiée, sous Kennedy, à l'idéalisme d'une jeunesse unie et mobilisée contre la discrimination raciale. »