Pour l'universitaire Ali Bensaâd, le dossier noir des politiques méditerranéennes sur la migration a empêché de faire avancer la question de coopération entre les deux rives. Constantine. De notre bureau Contre le discours officiel et les idées reçues, l'universitaire Ali Bensaâd part en croisade, en développant la profondeur de la question des flux de migration qui touchent la région du bassin méditerranéen et déterminent les relations entre les deux rives. Invité samedi par le CCF de Constantine, Ali Bensaâd a tenté de disséquer le phénomène des harraga en expliquant l'échec des politiques, notamment « le processus de Barcelone fêté en 2005 et presque enterré en même temps », selon ses mots. N'est-ce pas ce dossier noir des politiques méditerranéennes sur la migration qui a empêché depuis de très longues années de faire avancer la question de coopération entre les deux rives. Selon lui, l'actualité met à nu le décalage entre les représentations et la réalité des choses. Ceci dit, le problème est beaucoup plus complexe que ce que nous dévoile la question des harraga qui ne serait qu'« une feuille de vigne qui tombe pour révéler davantage... Pourquoi ? Parce que pendant cinq ans, la question des migrations a été réduite aux Subsahariens ». Bien plus que cela, la question est autant un levier géopolitique pour les capitales concernées. Les pays du Maghreb sont devenus les principaux sous-traitants pour le compte de l'Europe qui a fait pression de façon explicite entre 2000 et 2004 en se départissant de toute pudeur, affirme le conférencier. Les pays maghrébins se sont soumis aux conditions d'aide dictées par l'Union européenne, « y compris ceux qui font preuve d'ombrage nationaliste tels que la Libye et l'Algérie, qui ont facilement revêtu l'habit du supplétif de répression ». Résultat : pendant cinq ans, il y a eu une répression très forte à l'égard des Subsahariens lâchés en plein cœur du Sahara par les services marocains, mais aussi par les Algériens. Et pendant ce temps, tous les pays, excepté l'Algérie, ont légiféré de nouvelles lois répressives régissant l'entrée des étrangers sur leurs territoires, pour répondre aux exigences européennes. Mais les gouvernements maghrébins ont eux aussi exploité la question des migrations en monnayant leur rôle de sentinelles. La Libye et l'Algérie n'avaient pas besoin d'argent comme le Maroc, mais ces pays ont obtenu mieux : la réintégration dans le jeu international. Les exemples ne manquent pas pour le conférencier. Le barrage électronique que veut construire l'Algérie le long de ses frontières sud est une faveur puisqu'il est rendu possible. Aussi, il existe, selon Bensaâd, des officiers de liaisons français qui gèrent la question en collaboration avec les officiers algériens, et sont présents jusque dans les frontières sud. Par ailleurs, le discours officiel qui tente de présenter les sociétés locales comme victimes de l'envahissement des migrants en relayant le discours raciste européen est battu en brèche. Ce discours occulte en effet le nouveau statut de pays d'immigration que sont devenus ces pays du Maghreb. L'histoire démontre aussi que la migration a toujours concerné beaucoup plus les Maghrébins que les Subsahariens qui n'ont été que la feuille de vigne derrière laquelle pendant ces longues années on a caché la migration maghrébine. Démystifiant le phénomène, Bensaâd avance que les migrants subsahariens n'ont fait que venir se greffer sur une circulation qui existait déjà sur des routes créées essentiellement par les Marocains.