Dans les couloirs de Sonatrach, l'histoire se raconte d'un air mi-amusé, mi-indigné : un appareil de forage acheté par l'entreprise à prix fort a dû être mis à l'arrêt pendant plus de deux ans faute… de techniciens- foreurs. Les salaires qu'offrent les compagnies étrangères ont décidé de nombreux employés de Sonatrach à prendre le large. Dans certains cas, la pression des multinationales est telle qu'il est bien difficile de céder à la tentation. « Si ça continue à ce rythme, ils vont vider l'entreprise de sa substance », nous dit un cadre de l'entreprise. Pour réduire l'hémorragie, la compagnie pétrolière nationale pense avoir trouvé le remède. Une restructuration du système de rémunération du personnel de Sonatrach est actuellement en cours. Il ne s'agit pas d'une augmentation de salaires, insistent les défenseurs du projet. Tandis que le responsable du syndicat de Sonatrach, M. Lamouri, aime à utiliser le mot « amélioration » pour évoquer le nouveau système de rémunération, le patron de la fédération des pétroliers préfère la formule « adaptation aux réalités ». A un moment où la grogne sociale fait rage, le sujet embarrasse les syndicalistes et les responsables des ressources humaines de la compagnie. Sonatrach se garde d'augmenter les salaires en raison de ce que les syndicalistes appellent pudiquement « l'environnement national ». « Différenciation » Dans les faits, il s'agit d'une refonte de tout le système de rémunération des salariés de Sonatrach. Le salaire des employés de Sonatrach étant composé à 30% du salaire de base et 70% de primes et indemnités, le nouveau système de rémunération vise à inverser la vapeur. Cela s'adresse essentiellement aux métiers de base, ceux qu'on appelle dans le jargon des compagnies pétrolières les « cœurs de métiers ». De nombreuses primes intégreront ainsi le salaire de base. « Le nouveau système fera la distinction entre les ‘'cœurs de métiers'' et les métiers de support et de soutien. Les métiers qui créent de la valeur ajoutée seront encouragés. La notion de différenciation est aujourd'hui nécessaire pour la survie de l'entreprise. Ce système n'exclut personne. Il introduit la différenciation par rapport à la valeur ajoutée. Mais au final, personne n'y perdra un sou », explique Mohamed Benazzouz, secrétaire national de la Fédération nationale des travailleurs du pétrole, du gaz et de la chimie (FNTPGC), affiliée à l'UGTA. Il s'agit, ajoute-t-il, d'ajuster le système de rémunération en fonction des besoins de l'entreprise. Mme Benkahla, chef du personnel de Sonatrach, indique : « Nous avons choisi de bonifier les métiers de base. Il n'est pas normal de traiter de la même manière ceux qui sont dans les champs, au feu, et ceux qui ne sont pas chahutés dans les bureaux. Il est nécessaire de créer une différenciation. Ce sont les cœurs de métiers qui assurent la pérennité de l'entreprise, ils sont la raison d'être de Sonatrach ». Si une augmentation sur le salaire de base venait à voir le jour, les « cœurs de métiers » seraient les premiers gagnants. « L'accord signé permet au salaire de base de refléter les différences de poids de responsabilités et d'impact entre les fonctions. En intégrant dans le nouveau salaire de base les différents éléments qui le constituent, nous donnons au salaire un poids plus important dans la rémunération totale », a affirmé M. Méziane, PDG de Sonatrach, dans une déclaration à ses employés. Les autres métiers de la compagnie pétrolière (métiers de support et de soutien) bénéficieront surtout de l'indemnité d'expérience professionnelle (IEP) qui sera intégrée dans le salaire de base, l'indemnité d'ancienneté groupe (IAG) pour tous les salariés ne bénéficiant pas de la rémunération variable, une rémunération variable (RV) déterminée en fonction de l'atteinte d'objectifs prédéfinis, versée en une seule fois, à la fin de l'exercice considéré et exprimée en pourcentage du nouveau salaire de base, à des taux différents selon le rôle occupé.« Le système actuel noie les gens dans la masse. Le nouveau système permet de définir les objectifs. Ce système redéfinit le rôle du travailleur et sa contribution dans la performance de l'entreprise. Il permet de gérer sa carrière. Le salaire peut évoluer sans même changer de métier », explique M. Benazzouz. « Auparavant, nous devions faire une gymnastique terrible pour faire bénéficier les gens méritants de promotions. Il fallait modifier les intitulés de poste. Le système égalitaire n'est plus possible. L'ancienneté dans un poste de travail n'est plus de mise. Les performances des cadres deviendront les principaux critères de rémunération », nous dit Mme Benkahla, directrice des ressources humaines à Sonatrach. Objectif : pousser les employés à relever des défis Mais ce qui fait le plus peur aux travailleurs de Sonatrach c'est surtout « l'évaluation ». Le nouveau système permet, en effet, aux « managers » de noter les performances de leurs employés. « Cela permet à des personnes qui occupent le même rôle de percevoir des salaires différents. Les gens veulent se distinguer, savoir de quoi ils sont capables », affirme avec enthousiasme M. Benazzouz. « Nous mettons en place un nouveau dispositif de classification par les rôles et les contributions. Le modèle rôle et contributions est plus souple, davantage centré sur les personnes et moins sur la fonction. Il permet une plus grande différenciation des salaires et une meilleure gestion des parcours professionnels. Il implique davantage les managers dans le suivi de leurs collaborateurs », a souligné M. Méziane. Si le patron de la fédération des pétroliers espère que cette « évaluation » poussera les travailleurs de Sonatrach à vouloir relever de nouveaux challenges, les cadres de Sonatrach craignent qu'elle ne donne lieu à des règlements de comptes ou à de vieux réflexes claniques. Pour M. Benazzouz, cette inquiétude serait le reflet d'une résistance, tout à fait naturelle, à la transformation. « Tout changement en profondeur se fait dans la douleur », résume-t-il. Et d'ajouter : « Nous avons choisi de copier sur ceux qui ont réussi. Le montage du système de rémunération a été réalisé par le bureau d'études IBM- Towers Perrins. Bien que largement inspiré des pays anglo-saxons, le système ne sera pas appliqué avec la ‘'dureté'' des pays capitalistes ». Un autre responsable des ressources humaines à Sonatrach souligne que cela faisait plus de 20 ans que la compagnie hésitait entre une grille de salaire et une autre. « Depuis 20 ou 30 ans, nous sommes passés d'une grille à une autre. Nous avions un système hérité de la Tchécoslovaquie. L'ancien système était figé. Des ingénieurs qui ne pouvaient pas évoluer car ils étaient bloqués par la grille des salaires », affirme-t-il. Et de préciser : « Tout le monde va profiter du système mais au moment de la mise en œuvre, nous n'allons pas dans une logique d'augmentation des salaires. En termes de valeur, il n'y a pas de changement. » Reste à savoir si la nouvelle méthode recevra un accueil favorable auprès des travailleurs de Sonatrach...