Parmi les droits de l'homme et du citoyen, il y en a un qui ne figure pas expressément dans aucune des déclarations et auquel, cependant, on tient particulièrement : c'est le droit de savoir ce qui se passe. Pierre Mendès France L'homme a-t-il vraiment changé ? Il est toujours là, inusable, infatigable à bientôt 82 ans. On s'était connus au lycée Amara Rachid, au milieu des années soixante lorsqu'il était professeur d'arabe. Quelques phrases bien pensées suffisent à dissiper l'illusion. Ton professoral, l'enseignant qu'il fût use de pédagogie et de l'art de communiquer propres au métier, même si les contingences ont fait qu'il choisisse les tribunes politiques aux estrades des classes. En fait, la frontière n'est pas brouillée entre les deux vocations. Les mêmes messages pour un même idéal : un combat de tous les jours pour l'épanouissement de l'homme et de la société avec l'espoir comme principale trame. Même si de toute la gamme des sentiments, l'espoir est le plus humain, donc le plus désespérant, donc le plus dégradant, pour reprendre Cioran. Dans le salon où il nous accueille, trône une flopée de livres. Des photos historiques avec les grands de ce monde ornent les murs. C'est que l'homme a bourlingué en politique. Près de 60 ans dans la sphère tumultueuse de la politique, cet art du possible ! Flash-back sur l'itinéraire exceptionnel de cet homme d'appareil, pas aussi dogmatique qu'on a tendance à le penser. Sur la situation de son parti, il est sans appel : « Je crois qu'il y a un FLN à mettre à la retraite. C'est le FLN parti unique, le FLN couverture et marchepied vers le pouvoir. Ce parti-là, il faut le mettre au musée, c'est certain. Mais le FLN du peuple, celui du 1er novembre, des militants qui ont travaillé pour l'édification de l'Algérie, personne n'a le droit de le remettre en cause. Evidemment, sauf un coup de force. Mais personne ne peut légitimement lui dénier le droit de poursuivre sa mission, sauf le peuple », déclarait-il il y a quelque temps. Paroles d'une brûlante actualité, vous en conviendrez. Depuis le coup d'Etat scientifique qui a secoué le vieil appareil, Mehri observe de l'extérieur les crises qui agitent le parti, « son » parti avec lequel il a grandi et au sein duquel il a occupé de hautes fonctions Un parcours militant Il est né le 3 avril 1926 au Khroub, près de Constantine, mais c'est à Oued Zenati qu'il vécut avec sa famille et où son père Amar a été désigné en qualité d'imam. Abdelhamid apprit le Coran auprès de son père et de son frère aîné cheikh El Mouloud qui a vite pris la relève de son père. En 1939, Abdelhamid rejoint la medersa libre Ettahdhib de Oued Zenati où il poursuit son apprentissage. En 1946, il part à Tunis où il intègre la fameuse université de la Zitouna qui rayonnait sur l'Afrique du Nord. Son séjour s'y prolongera jusqu'en 1951 où il est expulsé par le résident général français en Tunisie. « Je représentais secrètement le PPA à Tunis auprès du Destour. Ils se sont rendu compte de mon activité clandestine et n'ont pas hésité à me renvoyer. » En 1951, il retourne à Alger après avoir été responsable du PPA à Sétif. « C'est durant cette période que j'ai fait la connaissance de Abane Ramdane, alors chef de région, pour le parti. » Dans la capitale, Abdelhamid est permanent à la direction centrale du Parti, chargé de la commission culturelle et religieuse. « Je m'occupais notamment de la presse, précisément de la revue El Manar de Bouzouzou puis Saout El Djazaïr qui n'a pas fait long feu, et de la commission des medersas libres affiliées au PPA » Les torts de Messali En 1953, il participe au congrès du MTLD à Alger. « Depuis 1952 déjà, on commençait à organiser le premier noyau des anciens de l'OS, avec d'autres permanents du parti. Ce qui a donné naissance au CRUA puis à la réunion des 22. » Après le congrès de 1953, Abdelhamid est coopté membre du comité central du MTLD/PPA. « Lorsque la crise a éclaté, j'ai pris position avec les centralistes contre Messali. » A la question de savoir si Messali, malgré ses excès et ses travers, n'a pas été accablé par la suite par les critiques acerbes, M. Mehri explique : « Il a eu certainement tort d'agir personnellement et tenter de régler le problème de l'Algérie, seul, en dehors de tous les organes du parti. » « C'est une vision non acceptable », martèle-t-il sentencieusement. Au déclenchement de la lutte, M. Mehri est arrêté le 22 décembre 1954 à Alger avec un grand nombre de dirigeants politiques. Il bénéficie en mai 1955 d'une liberté provisoire. Aussitôt libéré, il replonge dans la clandestinité en prenant contact avec Abane. Il est envoyé au Caire où il intègre la délégation extérieure du FLN. En novembre, il est à Damas où il dirige le bureau du parti qui lui donne mandat pour rayonner sur toute la sous-région. Il prend part aux travaux du CNRA au Caire en août 1957 à la suite desquels il a été désigné membre du CCE. Ces nouvelles charges le contraindront à quitter Damas. Il fait partie de la délégation du FLN à la conférence de Tanger en avril 1958. Il est membre du premier GPRA, ministre des Affaires nord-africaines.Dans le deuxième GPRA, il est ministre des Affaires sociales et culturelles alors qu'il ne figure pas dans la composante du troisième GPRA. En 1962, après la scission du CNRA de Tripoli, il retourne à l'enseignement après avoir poliment décliné le poste d'ambassadeur au Maroc. En 1963, il enseigne au lycée Amara Rachid avant de prendre quelques mois après la direction de l'Ecole normale de Bouzaréah, tout en assurant les fonctions d'inspecteur du primaire de la circonscription. En 1970, il est appelé au poste de secrétaire général du ministère de l'Enseignement primaire et secondaire, dirigé à l'époque par Abdelkrim Benmahmoud. Il y restera jusqu'en 1976. Il réintègre sa fonction de directeur à l'Ecole normale de Bouzaréah. Il participe au 4e congrès du FLN. Il est désigné en 1981 président de la commission centrale information-formation et culture du FLN. Ambassadeur à Paris En 1984, il est ambassadeur d'Algérie à Paris, poste qu'il occupe pendant 4 ans. Il est ensuite nommé chef de la représentation diplomatique au Maroc. Après les événements d'octobre 1988, il est appelé en qualité de secrétaire permanent du comité central. Au 6e congrès du FLN, il est élu secrétaire général du parti jusqu'en 1996, date du fameux complot scientifique. Depuis, c'est un observateur averti de la scène politique. C'était là son bilan. Quant à celui de l'Algérie, il en parle avec une certaine ferveur. « L'expérience de la révolution algérienne est très riche. Malheureusement, on ne s'est pas donné le temps et les moyens de l'étudier et de l'approfondir et surtout permettre aux Algériens, quelles que soient leurs tendances, d'apporter leur contribution à travers un dialogue permanent et démocratique. Qu'il y ait des divergences d'appréciation sur cette expérience, c'est normal. L'essentiel est de ne pas réduire ces divergences à la dimension subjective et personnelle et aller au-delà de l'expérience générée par des luttes opiniâtres du peuple algérien pour reconquérir sa place dans le concert des nations. Je reste convaincu que le projet du 1er Novembre demeure valable pour affronter les grands défis actuels et à venir, à condition de bien lire et de bien comprendre la déclaration du 1er Novembre qui ne se contente pas de concrétiser les revendications d'indépendance et qui stipule également la construction d'un Etat démocratique et social et la réalisation de l'unité maghrébine. Deux grands objectifs qui demeurent d'actualité et qui conditionnent le destin du peuple algérien. » L'occasion est propice pour évoquer cette transition démocratique qui semble bégayer depuis longtemps. Notre interlocuteur change de ton en martelant ses phrases : « Une transition démocratique pour mériter son nom doit être l'œuvre des Algériens sans exclusion aucune. » Quant à l'ouverture démocratique confrontée à un verrouillage sans précédent, il en parle volontiers. « La mondialisation est une donnée objective. On ne peut l'accepter telle qu'elle se présente où la refuser. Mais l'ouverture qu'exige cette mondialisation avec un pouvoir non démocratique génère, inévitablement, de la corruption, des inégalités et de l'injustice. Cela aboutit à ce que vous souteniez tout à l'heure : l'Algérie est un pays riche, avec un peuple pauvre. » M. Mehri va plus loin dans son analyse en s'appuyant sur les faits de tous les jours, « qui sont le meilleur indice de l'état de santé d'un pays ». « Le fait de prôner l'ouverture sur le plan économique et maintenir un régime qui exclut le peuple de la sphère des décisions politiques importantes, c'est immanquablement ouvrir le chemin à la corruption. J'aime bien qu'on s'ouvre sur le monde. Mais les Algériens peuvent-ils réellement s'occuper des affaires de leur pays face à un pouvoir occulte ? Les scandales financiers qui éclatent quotidiennement sont en fait inévitables. » Dans un autre registre, M. Mehri qui a toujours prôné le dialogue, persiste à dire, depuis Sant Egidio que « l'Islam politique est une donnée importante dans le paysage algérien, comme partout d'ailleurs, dans le monde musulman. On peut avoir des divergences pour apprécier ce phénomène. Etre pour ou contre sur tel ou tel aspect, telle ou telle action. Que prônent les différents courants de l'islamisme politique ? Mais, on ne peut faire comme s'il n'existait pas, ou vouloir, comble du ridicule, l'occulter par des décisions purement administratives. » Lorsqu'on lui fait part du rôle de l'opposition, des partis politiques, de la société civile, M. Mehri, avec son calme légendaire, assène ses vérités qui ne seront certainement pas appréciées. « Pour le moment, c'est une démocratie de façade. Le champ politique est très souvent meublé artificiellement par des créations artificielles », affirme -il. Quant à l'agitation frénétique autour de la reconduction de l'actuel locataire du palais d'El Mouradia pour un autre mandant, M. Mehri semble ne lui accorder un quelconque intérêt. « La priorité, soutient-il, doit plutôt être donnée à un changement réel de la nature du pouvoir. Sans ce changement consensuel, avoir encore des élections à quelque niveau que ce soit ne prépare pas l'Algérie à affronter les nombreux défis auxquels elle doit faire face. Continuer sur cette voie, avertit-il, ne mène à rien ». Optimiste pour l'Algérie, M. Mehri ? « Si on ne l'était pas, pourquoi militer pendant tant d'années et continuer à le faire, malgré toutes les vicissitudes et tous les vents contraires… » PARCOURS Naissance à El Khroub le 3 avril 1926. Adhérent du PPA/MLTD. Il étudie à Tunis. Il s'y occupe des activités de son parti et y organise l'émigration algérienne, noue d'étroits contacts avec le parti tunisien du Néo Destour. Arrêté en décembre 1954, il est libéré en mai 55. Il rejoint le Caire d'ou il est envoyé à Damas pour représenter le FLN dans la région. Elu au CNRA en 1956 au CCE en 1957, M. Mehri est au GPRA en septembre 1958, ministre des Affaires du Maghreb arabe. Il représente le gouvernement en 1958 à la conférence de Tanger, qui groupe les principaux partis nationalistes du Maghreb. Ministre des Affaires sociales et culturelles du deuxième GPRA (60/61), il quitte la politique en 1962 pour enseigner au lycée Amara Rachid puis devient directeur de l'Ecole normale de Bouzaréah. Il est membre du comité central du FLN en 1979. Il est nommé ministre de l'Information et de la Culture dans le premier gouvernement de Chadli, le 8 mars 1979. Ambassadeur à Paris et à Rabat, secrétaire général du FLN qu'il dirige de 1988 à 1996. Il est aussi secrétaire général du Congrès panarabe qui regroupe d'anciens hauts fonctionnaires et intellectuels arabes.