Depuis lundi dernier se tient à Genève la 58e session de la commission de l'ONU Depuis lundi dernier se tient à Genève la 58e session de la commission de l'ONU sur les droits de l'Homme dont les travaux dureront six semaines. Atteintes aux personnes, violations des droits de l'Homme semblent constituer le credo du vingt et unième siècle. Pouvait-il en être autrement lorsque la notion de citoyenneté, connotée aux droits et devoirs, trouve de plus en plus à s'exprimer dans des lieux jusqu'alors fermés à la culture des droits de l'Homme et du citoyen. En tout état de cause, ce thème récurrent et très mobilisateur ne cesse de solliciter tout un chacun. Toutefois, il convient de relever qu'il y a comme un défaut aussi bien dans l'approche que dans la défense des droits de l'Homme, lorsque ceux qui se sont investis de cette charge donnent l'impression de faire une classification entre les hommes, les Etats, les gouvernements (les uns semblant plus condamnables que d'autres). De même qu'ils se manifestent par l'utilisation pas toujours appropriée - ou la manipulation n'est pas absente, à tout le moins suspecte - du concept des droits de l'Homme dont ils usent comme moyen de pression, voire de déstabilisation des Etats. Or, les droits de l'Homme ne peuvent souffrir d'aucun amalgame ou passe-droit et doivent s'appliquer partout et à tous de manière uniforme et immuable. Car les droits de l'Homme sont un principe réaffirmé par la communauté des nations et doivent pouvoir s'appliquer régulièrement dans le monde. Cependant, à la périphérie de la mondialisation et de la globalisation imposées par le nouvel ordre international, nous assistons à la naissance d'une interprétation exclusive, pour ne point dire abusive, des droits qui ne s'appliquent pas de la même manière aux puissants et aux laissés-pour-compte. Il convient donc d'être prudent en matière des droits de l'Homme qui, aujourd'hui, demandent à être reformulés en fonction de la réalité du vécu mondial, souvent marqué par l'indubitable deux poids deux mesures. Nous le voyons en Irak, où un peuple, mis en marge de la société internationale, agonise dans l'indifférence des Etats et des ONG censées défendre les droits des opprimés où qu'ils se trouvent, protéger les droits humains partout où ils sont bafoués. Or, les Etats-Unis outragent depuis plus de dix ans ces droits en imposant aux Irakiens un embargo inhumain, en dehors de toute couverture du Conseil de sécurité de l'ONU, que la communauté internationale s'accorde aujourd'hui à reconnaître comme étant cruel et inutile. Nous le voyons également en Palestine où le peuple souffre, sous le joug d'Israël, coupable de refuser de se plier au diktat de l'occupant israélien. Des milliers d'enfants irakiens meurent chaque mois faute de médicaments et de nourritures, des centaines d'adolescents palestiniens sont la proie des tireurs d'élite de l'armée israélienne. Tétanisé, le monde courbe le dos devant la puissance américaine érigée en fait du prince. Lorsqu'en 1998 le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, relève, à l'occasion du Cinquantenaire de la Déclaration des droits de l'Homme, que cette cérémonie doit être saisie pour «tracer le cours des droits de l'Homme pour les cinquante prochaines années et au-delà», il ne pensait pas toucher du doigt la pierre angulaire des rapports internationaux. Mais encore aurait-il fallu qu'il exige un (véritable) bilan de l'état des droits de l'Homme dans le monde à l'orée du troisième millénaire? Pas seulement dans les pays en voie de développement, mais partout où ils sont agressés, soit de fait de gouvernements dictatoriaux, soit, et c'est encore vrai, de celui d'Etats qui usent de leur puissance pour imposer au monde leurs visions ou conceptions des rapports entre les nations. Le moins qui puisse être aujourd'hui avancé, sous réserve d'analyses plus pointues, est que la notion des droits de l'Homme aura surtout été employée à sens unique, réservée à une catégorie de personnes et de gouvernements, au profit des tenants de la puissance et accessoirement, comme moyen de pression, quand ce n'est pas de déstabilisation d'Etats trop indépendants, ayant une stratégie différente ou, simplement, du fait qu'ils ne montrent pas la souplesse convenue. Aussi, les droits de l'Homme connaissent-ils une certaine dérive lorsque ceux-ci sont déviés de leur praxis pour servir à d'autres desseins que ceux attendus. Car, le premier droit humain est celui du droit à la vie. Or, ce droit a été soustrait à tout un peuple, dont les dirigeants ont le grand tort de n'être point en conformité aux normes édictées par les Etats-Unis. Dès lors, que peuvent bien signifier les propos à tout le moins volontaristes, cités plus haut, du secrétaire général de l'ONU, lorsqu'aux prémices du troisième millénaire, des peuples ne disposent pas du minimum de survie, c'est le cas de l'Irak, de nombreux pays africains et asiatiques, lorsque des peuples plient encore sous le joug de la domination, c'est le cas des Palestiniens, des peuples dont l'indépendance reste à acquérir (Sahara occidental) ou encore inachevée (Timor oriental) Outre cela, nous constatons l'inégalité grandissante de développement entre le Nord et le Sud, l'écart de croissance qui tend à devenir irréversible ; lorsque le droit à l'évolution est confisqué par les grandes puissances qui, outre pratiquer un véritable pillage de l'intelligentsia des pays en voie de développement, prétendent leur interdire de développer leur propre savoir. Cela est d'autant plus dramatique que les cerveaux formés par les pays pauvres, qui se saignent à cet effet, sont drainés vers les multinationales et profitent essentiellement aux grandes puissances industrielles au détriment des pays d'origine et formateurs. Comment les pays du Sud peuvent-ils se relever, et encore moins devenir concurrentiels, quand ils sont saignés de leur élite intellectuelle? Le droit au développement, le droit à la connaissance et au savoir, inséparables du paramètre des droits de l'Homme, sont confisqués et «chasse gardée» des grandes puissances. Les droits de l'Homme ce n'est pas seulement la liberté d'expression, évoquée par l'Occident, mais aussi le droit à la vie, le droit à l'instruction, le droit au savoir, qui ne peuvent souffrir l'intolérance ou le «droit réservé» et doivent être accessibles à tous. Ce que de fait, affirme Kofi Annan par l'énoncé du principe: «Tous les droits de l'Homme pour tous.» Encore faut-il que cette affirmation ne demeure pas une simple clause de style qui n'engage pas la communauté des nations. Tant que le droit des Irakiens à poursuivre leurs recherches scientifiques est nié (dans le cas de l'Irak, il est surtout question de cela) qu'il est interdit aux Etats émergents de développer leur propre science, d'en faire bénéficier leur peuple, quand dans le même temps les puissants se donnent tous les droits et moyens d'accroître un savoir déjà écrasant, pour conserver leur position dominante, peut-on alors affirmer que les droits de l'Homme sont les mêmes partout et pour tous? C'est cela le dilemme du XXIe siècle: donner à tous les mêmes moyens de développement de même que ceux de s'assumer afin que les droits de l'Homme aient un sens positif et soient effectifs pour tous. Et ces conditions sont actuellement loin d'être remplies. Alors de quels droits de l'Homme parle-t-on à Genève?