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La « parole debout »
Carnet de bord. Première rentrée littéraire au Mali
Publié dans El Watan le 14 - 02 - 2008

Une belle échappée littéraire, voilà comment m'apparaît, à peine revenue à Alger, ce voyage à Bamako, court mais riche de rencontres et de découvertes avec, en arrière-plan, cette remarque permanente sur notre manque de contacts avec notre propre continent ! J'accompagnais en tant qu'éditrice, Djamel Mati pour son dernier roman On dirait le Sud nominé pour le Prix Yambo Ouologuem.
Le voyage avait été rendu possible par le ministère de la Culture qui a répondu favorablement à ma demande de prise en charge des billets d'avion. Ce sont deux jeunes auteurs maliens, Aïda Diallo et Ibrahim Aya, cofondateurs des éditions Tombouctou, qui ont eu l'idée de cette première rentrée littéraire du Mali et l'ont organisée les 17, 18, 19 janvier à Bamako. En partenariat avec le ministère malien de la Culture, des éditeurs, des libraires et des auteurs ont procédé, début septembre 2007, au lancement des trois Prix littéraires qui récompenseront chaque année des œuvres (romans, recueil de nouvelles ou contes) éditées sur le continent africain. Sur les traces encore fraîches de mon premier séjour à Bamako, je garde en moi jusqu'à la saveur de cette terre et médite encore sur les origines de la capitale malienne. Elle aurait été fondée vers la fin du XVIe siècle. La tradition orale confirme ce qui saute aux yeux : la naissance de la ville est intimement liée à la présence du fleuve Niger. Même si une version voudrait que le nom Bamako ne soit en fait qu'une contraction de bama kô (le marigot aux caïmans), je préfère de beaucoup celle qui relie sa naissance et son nom à l'amitié entre deux chasseurs mythiques : Samalé Bamba et Diamoussadian Niakaté. Le premier offrit l'hospitalité au second et finit par lui octroyer des terres de culture et de chasse. Le nom de Niakaté se transformera progressivement en Niaré et la rivière de Bamba (Bamaba Kâ Kô), au bord de laquelle le chasseur Samalé Bamba s'était installé, donna son nom à l'ensemble de la zone qui devient Bambako puis Bamako. Sur les traces encore fraîches de la première rentrée littéraire du Mali, le sens de la dimension africaine s'est projeté dans toute sa splendeur. Les couleurs, les odeurs, les lumières soufflent dans ma tête la brise des paroles de Moussa Konaté : « C'était le même soleil depuis des millénaires, et pourtant, ce jour là, nous avons cru apercevoir une lueur dont nous avions perdu jusqu'au souvenir : la lueur de l'espoir ». Considéré comme le meilleur représentant de la littérature malienne, Moussa Konaté a créé en 1997 les éditions Le Figuier, devenant ainsi le premier écrivain-éditeur de son pays. Le sens de la dimension africaine que j'ai retrouvé n'était pas uniquement dû à l'instauration du prix continental Yambo Ouologuem, premier africain à obtenir le prix Renaudot en 1968 pour son roman Le devoir de violence*. Il était aussi dans les thématiques de ces rencontres. La littérature peut-elle contribuer à changer l'Afrique ? La colonisation est-elle responsable de l'état actuel de l'Afrique ? Les Etats-Unis d'Afrique : encore une chimère ? Autant de questions auxquelles s'ajoutait le débat sur l'immigration dans cet univers de la nécessité où pour se nourrir, il faut souvent partir, même si le proverbe bamakois, si instructif, nous dit : « Plus loin on s'en va, plus haute est l'herbe de l'oubli ». Et que dire après l'histoire de ce jeune, âgé de 18 ans, qui raconte qu'à peine sorti de son enfance, il a été arraché à l'affection de sa mère et envoyé en France par son père qui s'endetta pour lui offrir une carrière de footballeur, finalement infructueuse. Nous sommes loin du littéraire. Que faire ? Peut-être rattraper le vieux continent dans sa course millénaire, écouter couler ses eaux houleuses sous des pieds rugueux, à force de pas marqués par un voyage jamais entamé ? Se laisser fondre dans cette poussière brûlante, de vérité comme de sonorité, tandis que le vent du Nord ignore la tendresse et la sincérité ? Se faire mal aux yeux, blesser ces regards hagards que seuls les sens des mots aux couleurs de maux captent l'instant d'une photo ? Reconquérir l'Afrique par la parole tant racontée et l'écrit tant voulu, c'était aussi la pénétrer par les veines d'un fleuve que traversent des ponts sans passerelles, des noms sans lieux… Et voilà que Max Rippon, le « raconteur » comme il aime se définir, a voulu donner un sens à sa présence sur la terre de ces ancêtres, l'Afrique qu'il effleurait pour la première fois, en plongeant sa main dans le fleuve du Niger. Un baptême que nous avons fêté le soir même au Blabla, un petit restaurant sympathique, avec un bon jus de gingembre et le plat-roi, le saca-saca qui me permet d'apprendre que le piment ne doit pas passer de main en main. Le lendemain, le grand écrivain guinéen Tierno Monémembo, dans sa conférence « L'Afrique peut-elle enfin se raconter au monde ? » a pleinement saisi l'attention d'un public de jeunes étudiants et lycéens. Ce n'était certes pas pour évoquer la somme de livres qu'ils n'ont pas encore lus et que la plupart ne liront probablement jamais, tant le livre est cher au Mali, le prix de certains ouvrages pouvant atteindre le salaire d'un cadre malien. Tel un griot et avec « la parole debout » (en référence au malien Amadou Hampaté Bâ : « Lorsque j'écris, c'est de la parole couchée sur le papier »), l'écrivain a conté la part de notre continent dans la mémoire du monde. Il a rappelé que l'Afrique, qui a abondamment laissé le soin aux autres d'écrire sur elle, était tout de même au cœur de l'histoire, y compris du temps de l'esclavage qui a changé la face du monde ou de la colonisation qui a dessiné sa configuration actuelle. Avec des mots simples et forts, une manière de mettre les grandes vérités à la portée de tous, il a encore évoqué ceux d'Hampaté Bâ, auteur de la célèbre phrase : « Afrique chaque fois qu'un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle ». Monémembo a mis le doigt sur la rupture dans la chaîne du savoir en Afrique au cœur d'une oralité qui n'a pas eu besoin d'être écrite pour voyager et pour revendiquer, au bout du silence, son droit à la parole. Cette parole était aussi celle que j'ai retrouvée dans les débats suivant les conférences. « Je parle sous le contrôle de mes aînés » : c'est avec cette phrase respectueuse que les jeunes étudiants entamaient leurs libres propos, directs, parfois même virulents, surtout quand ils reprochaient aux élites d'avoir perdu le lien avec la terre des ancêtres. Et, comme sous un arbre à palabres, les « aînés » leur répondaient : « Vous êtes une génération qui doit nous dire la vérité ». Ici, les traces sont encore fraîches de la première rencontre littéraire tenue en janvier dernier et où plusieurs intellectuels africains et européens se sont réunis pour créer un Comité scientifique de mémoire Afrique. L'initiative intervenait après le discours adressé aux Africains en juillet à Dakar par le président français Nicholas Sarkozy et dont certains passages avaient été vivement critiqués sur le continent. Atterrissage à Alger avec à l'esprit et au cœur, ces moments de partage africain. Traces encore fraîches d'une année 2007 où l'édition algérienne a eu une belle part du budget d'Alger, capitale de la culture arabe. Année 2008 où le monde semble vouloir célébrer le 60e anniversaire de l'Etat d'Israël en tenant sous silence les cris des enfants palestiniens. Flux de questions car même les plus courts voyages vous interpellent. Dans cette mondialisation, que peut-être le dialogue des cultures devant l'inégalité des moyens de promotion et de diffusion ? Sommes-nous capables d'organiser notre propre « agitation littéraire » et reprendre l'initiative de l'action culturelle ?
* Le prix Ouologuem 2008 a été attribué à l'ivoirien Esaï Bitton Couylibaly pour son roman « Et pourtant, elle pleurait ».


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