Le cinéma africain offre au Panaf sa voix et sa créativité. Depuis le début des festivités de cette exceptionnelle deuxième édition du Panaf, plusieurs œuvres cinématographiques ont été projetées au profit d'un public souvent sidéré par la puissance émotionnelle et visuelle de ces films qui scrutent et auscultent la complexité du continent africain. Source de pathos, puits d'émotions et labyrinthe d'images et d'histoires, ces films projetés dans le cadre du Festival international du cinéma d'Alger nous font presque oublier les malheurs de ce cinéma africain tributaire de nombre de difficultés puisqu'il peine encore à s'émanciper et ne parvient toujours pas à se construire de manière suffisamment solide et pérenne pour faire autre chose que subsister. En effet, dans les cinquante-sept pays composant ce continent qui rassemble la deuxième population au monde, on trouve moins de salles et de films produits, tous pays réunis, qu'en France, pour ne citer que ce grand pays européen. Dès lors, se demander si le cinéma africain existe vraiment n'est pas que réducteur et facile, c'est aussi l'occasion de s'interroger sur ses carences, les expliquer et plus encore se risquer à penser ce qu'il pourrait être demain. Mais à cette interrogation, 10 grands réalisateurs africains, sélectionnés par le comité exécutif du deuxième Festival culturel panafricain pour la confection de courts-métrages (5 mn) sur l'Afrique en devenir, ont répondu par un travail cinématographique qui nous laisse pantois. En effet, Teddy Mattera (Afrique du Sud), Rachid Bouchareb (Algérie), Zézé Comboa (Angola), Gaston Kaboré (Burkina Faso), Balufus Bakupu Kayinda (RD Congo), Flora Gomes (Guinée-Bissau), Mama Keita (Guinée), Sol Calvaho (Mozambique), Nourri Bouzid (Tunisie) et Abderrahmane Sissako (Mali) ont décidé de mettre le verbe au cœur de l'image pour nous retranscrire leur vision de l'Afrique. Projetée lundi soir à la salle Ibn Zeydoun, leur œuvre collective, intitulé l'Afrique vue par…, qui regroupe les 10 courts-métrages, devant un parterre d'artistes, de journalistes et de cinéphiles, a, en tout cas, suscité un véritable débat sur le rôle du cinéma dans la construction de l'Afrique de demain. Plongé dans la pénombre, le public a commencé ce voyage cinématographique à travers le continent par le Telegraph to the Sky du Sud-Africain Teddy Mattera. Il s'agit là de l'histoire d'un soldat qui revient de la guerre et retrouve sa femme et son village après tant de violences dont il garde les séquelles sur son corps. Le soldat, victime schizophrénie, n'arrive nullement à se soustraire à ses souvenirs de guerre et menace à chaque fois sa belle aimée d'un couteau aiguisé à l'image de la haine et de la peur qui emplissent son cœur et son âme. Dur, dur, de retrouver la paix en Afrique après une guerre sanglante, le court-métrage de Teddy Mattera nous en offre là un poignant récit allégorique. Poignant l'est davantage le très douloureux documentaire de Rachid Bouchareb, Exhibitions «Zoo humain», qui retrace le drame de ces Africains arrachés, majestueusement mis en images, à leur terre natale et ramenés en Europe pour les incarcérer dans des zoos humains mis en place à chaque exposition coloniale. Ces expositions furent organisées au XIXème siècle et dans la première moitié du XXe siècle dans les pays européens. Elles avaient pour but de montrer aux habitants de la métropole les différentes facettes des colonies. Au cours de ces expositions, les Africains autochtones ont été exhibés comme des animaux exotiques. Certains vont mourir de faim et de mauvais traitements. D'autres serviront aux travaux de certains savants européens qui tentaient tant bien que mal de prouver leur théorie de l'inégalité raciale et d'affirmer à ce titre la supériorité de l'Occident sur les autres races. Ces expositions, comme le rappelle le narrateur de ce documentaire, sont à l'origine de la création de deux humanités différentes, l'une opposée à l'autre. Aujourd'hui encore, nous payons les conséquences de cette invention idéologique abominable. Sur un tout autre registre, 2000 Générations d'Africains du Burkinabais Gaston Kaboré nous dresse le portrait de cette Afrique, mère de l'humanité, qui a forgé son identité il y a 50 mille ans, soit deux mille générations d'Africains, et continue aujourd'hui encore à relever les défis que lui impose sa destinée. Bonjour d'Afrique de l'Angolais Zézé Gomboa surfe quant à lui sur le registre drolatique en nous guidant sur les pas d'un homme perdu et déstabilisé par le début de sa journée de travail. Empruntant bus après bus, il perd son portable et se rend compte qu'il lui a été dérobé par un policier. Cependant, le clou de la soirée est sans conteste One More Vote For Barack Obama du Guinéen Mama Keita. Ce court-métrage qui a époustouflé le public tisse le destin d'un Kényan vivant clandestinement à New York. Mumumba ne cultive qu'un seul rêve. Celui d'obtenir enfin sa carte de séjour, et pour cela il place tous ses espoirs dans la candidature de Barack Obama, «mon cousin» comme il dit, lequel devra, selon les espoirs de Mumumba, régulariser «tous ses frères kényans». Or, pour un ami de notre héros, ce rêve frise l'utopie car rien ne garantit qu'Obama une fois élu pensera à ses cousins africains. C'est pour cela qu'il lui conseille de faire du marathon, comme tous les Kényans et de s'entraîner durement afin de gagner celui de New York, l'un des plus célèbres au monde. Mumumba suivra le conseil de son meilleur ami, mais lors d'un entraînement il tombera sur une patrouille de police, laquelle le poursuit sans réussir à le rattraper. A croire que c'est ce marathon qu'il devait gagner car juste après une jeune belle femme newyorkaise lui rend visite et lui suggère de voter pour Obama. Le clandestin kényan oubliera ses malheurs et succombera aux douces rêveries que lui inspire le sourire angélique de cette jeune femme. Tout est fantasme, rêve et espoir dans le film de Mama Keita, à l'image de cette Afrique qui ne désespère jamais face à son mal-être. «Yes, we can», le fameux slogan de Barack Obama, est entonné à la fin du film pour illustrer qu'il correspond parfaitement à la mentalité de l'être africain qui ambitionne de réussir et de réaliser ses rêves malgré ses très mauvaises conditions de vie. Mumumba est le symbole de toute une Afrique. Bien filmé, magnifiquement scénarisé, des personnages drôles et attachants, le court-métrage de Mama Keita a ébloui le public qui l'a très fortement applaudi. Force est de constater également que les mêmes réactions ont été recueillies après le passage de Errance du Tunisien Nourri Bouzid qui transforme en un film émouvant la rencontre impromptue entre un vieux sage griot et un fonctionnaire tunisien. Les lumières du griot éclaireront les ténèbres du fonctionnaire tunisien qui assimile tout Africain noir à un clandestin ou à un terroriste. Véritable leçon de vie et de philosophie, ce court-métrage renseigne sur la profondeur de l'ignorance dont est victime le Maghreb à l'égaud du reste de l'Afrique. Une ignorance qui engendre la crainte et par la suite la haine. La soirée sera clôturée par Une femme fâchée de l'imposant Abderrahmane Sissako qui a réussi à relater avec la classe qu'on lui connaît les colères d'une femme notable de Bamako contre les comportements insidieux de ses concitoyens. L'Afrique en images, l'Afrique en mots et histoires, l'Afrique en cinéma, l'Afrique découvre et se découvre à travers cette œuvre collective réalisée pour et grâce au Panaf 2009. Cela dit, les réalisateurs, invités à s'exprimer à la fin de la projection, ne manqueront pas de relever les problèmes techniques de cette projection, l'absence de sous-titrage pour les courts-métrages produits en portugais, et les errements administratifs qui ont failli gâcher la réalisation de leurs œuvres. Le financement n'est guère arrivé à temps, à cause de l'incompréhension entre le comité d'organisation et le ministère des Finances ; les réalisateurs ont dû souvent changer de scénario et improviser un plan B ou même C. Enfin, quoi qu'il en soit, le défi a été relevé et l'Afrique a été bel et bien vue par… de grands réalisateurs africains. A. S.