La carte politique pakistanaise vient de connaître de très sérieux bouleversements à l'issue des élections législatives et provinciales tenues lundi, dont personne ne conteste le bon déroulement. C'est déjà là un premier enseignement de cette consultation qui avait focalisé sur le Pakistan l'attention du monde entier, avec notamment les rumeurs américaines, voire leurs mises en garde répétées contre les menaces qui pèseraient sur leur allié. De ce point de vue, le président Pervez Musharraf aura tenu sa promesse d'organiser un scrutin libre et d'en respecter les résultats, lui, qui était accusé de manipuler ces élections en propulsant son camp. Ce qui n'est pas le cas, puisque celui-ci a essuyé une défaite cuisante à ces législatives, qui pourrait le conduire à remettre les clefs du pouvoir. Car, c'est là l'enjeu de ces élections dans un pays où le chef de l'Etat exerce un pouvoir symbolique, et M. Musharraf a pleinement joué le jeu, lui reconnaîtra-t-on par conséquent. Résultat : les deux principaux mouvements de l'opposition, celui de l'ex-Premier ministre Benazir Bhutto, assassinée le 27 décembre 2007 dans un attentat suicide, et celui de son rival des années 1990, Nawaz Sharif, arrivent largement en tête. « Nous acceptons le verdict de la nation », a déclaré Tariq Azeem, porte-parole de la Ligue musulmane du Pakistan — Qaïd-e-Azam — (PML-Q), le parti au pouvoir depuis 2002 et principal soutien de M. Musharraf, qui s'était emparé du pouvoir par un putsch militaire il y a plus de huit ans. Autre surprise de ces élections législatives et provinciales : les partis islamistes radicaux, dont certains soutiennent les talibans et Al Qaïda, ont subi un revers majeur. Hier à la mi-journée, sur les 272 sièges soumis au vote pour l'Assemblée nationale, les partis religieux fondamentalistes n'en n'avaient remporté que 3, selon des résultats encore partiels. A Peshawar, la capitale provinciale, des habitants ont célébré le revers des fondamentalistes. Dans une des circonscriptions, entre 2000 et 4000 personnes ont fêté la victoire de Arbad Alamgir Khan, candidat du principal parti de l'opposition, le Parti du Peuple Pakistanais qui avait promis de « débarrasser le pays » des fondamentalistes. Même si une partie de la MMA avait appelé au boycott des élections et si les combattants fondamentalistes des zones tribales avaient dissuadé les gens d'aller voter, « c'est un verdict très clair du peuple à l'égard de ceux qui utilisent la religion pour tenter de prendre le pouvoir politique », a déclaré un haut responsable du gouvernement sortant. Ces premiers résultats ne doivent cependant pas masquer le désintérêt des Pakistanais pour des scrutins marqués par un faible taux de participation d'environ 40%, similaire toutefois à ceux des précédentes consultations. Le changement qui se dessine — M. Musharraf réélu président le 6 octobre, n'ayant que le choix restreint entre une coalition improbable avec le PPP, la démission ou une présidence à inaugurer les chrysanthèmes — est déjà en soi une révolution dans ce pays, qui a vécu plus de la moitié de ses 60 ans d'histoire sous la férule des généraux putschistes et le reste sous des gouvernements cornaqués par les militaires. « La démocratie se venge ! », titrait hier en une, le grand quotidien The News. Dans un pays qui a connu tant de bouleversements ces derniers mois, et même une bataille acharnée pour le pouvoir, c'est bien le cas de le dire. Et, il ne suffisait pas alors au président Musharraf d'utiliser tous les moyens pour se maintenir au pouvoir. C'est donc la victoire de tous ceux qui avaient été bâillonnés, marginalisés et matraqués comme ces magistrats qui réclamaient la réintégration du premier d'entre-eux, le président de la Cour suprême du pays, destitué par M. Mushrarraf. Reste maintenant à savoir comment se réorganisera le nouveau pouvoir.