Suite aux nombreux mouvements de protestation qui ont eu lieu ces derniers temps, l'administration a souvent eu recours à la justice pour ordonner l'arrêt des grèves. Comment voyez-vous cette nouvelle situation ? Les mouvements de protestation sont de différents types. Pour les mouvements de grève, la saisine de la justice par les autorités publiques relève d'une carence d'intermédiation, de prévention et de négociation. La grève est un droit des travailleurs. Si la légitimité des revendications ou des positions est discutable, la forme légale est incontestable. Toutefois, la grève reste l'un des derniers recours et nécessite, selon la loi algérienne, un préavis déposé auprès des services de l'inspection générale du travail. Le défaut de ce préavis dans les formes appropriées constitue une infraction à la réglementation. La voie la plus facile pour les autorités c'est la saisine de la justice. Nous sommes dans une phase d'apprentissage des luttes syndicales. Les mouvements de contestation traduisent la non-passivité des acteurs sociaux. Cette dynamique doit être positivée, car elle reflète un malaise social profond qui, s'il est traité de façon négativiste, risque d'entraîner une déchirure, une fracture des liens nécessaires pour le dialogue social. L'Etat fait souvent appel aux menaces de « ponction sur salaire ». Alors que les syndicats autonomes estiment que ce sont des « intimidations », les pouvoirs publics considèrent qu'il est normal que les journées non travaillées ne soient pas payées. Qu'en pensez-vous ? Les ponctions sur salaire ont toujours été un argument des employeurs et les travailleurs savent que cette sanction entre dans les « règles du jeu » de la lutte syndicale. Cette sanction a aussi une valeur coercitive pour la reprise du travail ou pour la recherche d'un moyen de négociation selon les modalités prévues par la loi. L'intimidation est une attitude non féconde, qu'elle soit de la part des autorités ou des travailleurs. Dans le cadre des services publics, c'est toujours des tiers (des malades, des voyageurs, des élèves…) qui sont les vrais perdants de ces rapports de force. Dans ces conditions, le mieux serait que toutes les parties soient « gagnantes » à l'issue des conflits sociaux : l'employeur, les travailleurs et le citoyen pris entre les deux. C'est l'une des raisons qui font que pour les services très sensibles, la grève est interdite. En tant que sociologue, comment analysez-vous la multiplication des mouvements de protestation ? Ces mouvements de protestation constituent une chance pour la société. Dans la conjoncture actuelle, où les recompositions sociales sont en œuvre, les inégalités se creusent, ces mouvements sociaux sont des signes d'une exacerbation des contradictions. La lutte sociale est ainsi naturelle dans les comportements des agents sociaux. Il est cependant assez tragique de relever que la société n'a pas su produire des « médiateurs » – ces grands hommes et femmes qui savent ramener les parties en lutte à des concessions pour un règlement des conflits sans perte ni pour la société ni pour l'économie. Ces mouvements sont très importants. Si les lois actuelles les marginalisent, il faut changer les lois et non pas interdire ces mouvements. Dans le cadre des luttes sociales, il existe une technique souvent utilisée par les travailleurs en Algérie. Cela s'appelle « Go Slow », comme mode de grève. Elle est beaucoup plus nuisible et pernicieuse, car elle ralentit totalement la marche du système sans aucune incidence pour les travailleurs et le public. Elle conduit à une perte sèche. Il est aussi inévitable qu'on puisse observer des deux parties, certains éléments qui cherchent le pourrissement, l'affrontement et là on sort du cadre des mouvements sociaux pour entrer dans des conflits politiques où la violence et sa répression ont toujours été une des techniques de lutte.