La journée du 23 février a été dédiée par les pouvoirs publics à La Casbah d'Alger. Cette déclaration, au-delà de son aspect formel et festif de « Journée nationale de La Casbah d'Alger », devrait permettre à tout Algérien d'inscrire dans son subconscient toute l'importance que revêt cette citadelle dans la mémoire collective de la nation. Cette inscription représente aussi une manière forte d'interpeller les consciences sur la nécessité de sa préservation et de sa valorisation non seulement historique mais aussi son prestigieux contenu urbain, sa richesse architecturale et son art de vivre particulier. Cette citadelle millénaire, qui a symbolisé des siècles durant l'identité de notre peuple et de notre nation dans ce qu'elle a de plus noble, demeure notre fierté. Elle a été tout à la fois un sanctuaire pour la promotion et la diffusion de la connaissance universelle et un chantre de la résistance. Elle a été dans un passé récent l'un des plus importants foyers de notre indépendance et un conservatoire indispensable à la protection et à la transmission d'une culture originale. Cette icône que les poètes, les hommes de l'art et de la culture, nationaux et étrangers ont, à travers ses périodes historiques, chanté et vanté sa beauté et ses faits d'armes, se trouve aujourd'hui dans un état pitoyable. Comment cette œuvre, qui immortalise tout le génie créateur de tout un peuple fière par sa participation à la constitution de la culture universelle, puisse se détourner de cette préoccupation constitutive de ce pan fondamental de sa personnalité ? Depuis l'avènement de l'indépendance politique du pays en 1962 et tout particulièrement depuis le début des années soixante-dix, les pouvoirs publics ont mené des actions de consolidation de cette indépendance par la mise en œuvre de programmes de développement économique, social et culturel. A ce titre, la question relative à la sauvegarde, à la préservation et à la promotion de notre patrimoine a été au centre des préoccupations des politiques successives développées. Pour la maîtrise du développement de la capitale, La Casbah d'Alger a reçu un traitement particulier. Des stratégies pour la maîtrise du développement de la capitale ont été définies et un plan global (POG) pour leur mise en œuvre a été élaboré dès le début des années soixante-dix. Pour l'élaboration de ce plan, les autorités supérieures du pays, qui accordaient une importance particulière à ce volet, ont fait appel aux plus grands techniciens du moment de la planète. La Casbah d'Alger en tant que repère identitaire aussi bien social et économique que culturel représentait une référence et une source d'inspiration pour tous les hommes de l'art et de culture. A ce titre, des études spécifiques ont été menées. Ces études visaient la définition des conditions propres à l'intégration de ce site prestigieux dans la dynamique de développement du pays en tant que repère identitaire qu'élément de compositions moderne et adapté aux exigences d'une vie décente. Mais malheureusement, ce site, qui était confronté à un phénomène de dépeuplement dans une première phase (1962-1970) et à un surpeuplement dans une deuxième phase (après la décennie soixante-dix), a été totalement ignoré depuis. Les gouvernements et les différentes autorités qui se sont succédés continuent de développer les mêmes discours, mais aucune action sérieuse et réfléchie n'a été mise en œuvre. Des actions ponctuelles et limitées dans le temps ont été engagées sous la pression de la population. Mais ces actions, non coordonnées, ont contribué à l'amplification du phénomène de dégradation observé. L'inscription tardive de ce patrimoine aussi bien sur la liste du patrimoine national (1991) et sur la liste du patrimoine universel (1992) n'a pas permis d'inverser les tendances. La société civile, malgré ses moyens limités, s'est mobilisée autour de cette question, mais malheureusement, devant le silence assourdissant, les pouvoirs publics continuent à ignorer ce chantre de la résistance de notre peuple. Les multiples propositions d'actions soumises par les associations aux pouvoirs publics sont restées lettre morte. Les discours électoralistes et les manifestations à caractère festif et autres rencontres à caractère scientifique, organisées autour de cette question, n'ont fait qu'accentuer les ruptures entre les citoyens et leurs gouvernants. L'état de délabrement du site et la paupérisation de sa population en sont la parfaite illustration de l'échec des politiques successives mises en œuvre pour la sauvegarde de ce patrimoine. Malgré les mises en garde de déclassement du site adressées aux autorités par les instances internationales, la situation n'a guère évolué. En effet, sur un total de 1700 bâtisses à la fin des années 70 et 1200 bâtisses à la veille de son classement en 1992, le site, d'environ 54 hectares, ne renferme aujourd'hui qu'environ 600 bâtisses dans un état de dégradation très avancé. Plusieurs questions sont posées. Qu'est devenue cette Algérie des défis ? Où est passé cet Algérien fier de son appartenance à cette Algérie millénaire ? Comment expliquer cette forme de déni du citoyen pour son patrimoine, son histoire et sa culture ? Comment expliquer le décalage, voire le déphasage entre le discours politique et les attentes de la société ? Comment expliquer la rupture observée entre les comportements des descendants des fils de Novembre et leur progéniture ? Toutes ces questions demeurent malheureusement sans réponse et ce ne sont pas certainement les luttes engagées entre les différents groupes de pression pour accaparer les postes du pouvoir qui viendraient contredire, voire contrarier la descente aux enfers de ce site prestigieux. Les missions et prérogatives des différentes institutions de la République, en l'occurrence le ministère chargé de la culture, la wilaya, la wilaya déléguée et l'APC, sont clairement définies et leurs responsabilités en la matière engagées. Mais malheureusement, ces institutions continuent à ignorer la situation dramatique que connaît le site. Les quelques actions engagées actuellement par le ministère de la Culture, notamment la mise en place d'un comité de suivi, de l'engagement des études au niveau de quelques îlots et de travaux d'étayement et de réfection des étanchéités des terrasses de certaines bâtisses peuvent permettre d'entrevoir quelques améliorations du cadre de vie du citoyen, mais demeurent insuffisants par rapport à l'ampleur et à la complexité de la tâche à accomplir. Au même titre que les travaux d'urgence menés sur 92 bâtisses par l'Ofares au niveau du site dans le cadre de l'opération « Séisme 2003 », dont la qualité médiocre et inadaptée de ces travaux qui traduisent parfaitement l'état de l'inconséquence des intervenants chargés de veiller à la préservation de notre patrimoine. Notre association, en coordination et en concertation avec d'autres associations, notamment en partenariat avec la Fondation Casbah, ont proposé aux autorités depuis le début des années quatre-vingt-dix, la création d'un organisme spécialisé chargé de la gestion de ce projet majeur. Cet organe, qui disposerait de larges prérogatives en rapport et en relation avec ses missions serait seul à même d'assurer convenablement la continuité des actions programmées et leur conformité. Mais malheureusement, ces propositions et ces doléances sont restées vaines. Au chapitre de la sauvegarde de La Casbah, des sommes fabuleuses ont été englouties durant ces dernières décennies sans résultats palpables. Pire encore, la dégradation a connu une amplification du phénomène. Les quelques opérations menées par l'APC, notamment celles relatives à la réfection des trottoirs, à la réalisation d'un marché et autres ne peuvent en aucun cas constituer un frein à cette descente inéluctable aux enfers. Notre pays, qui aspire reconquérir la place qui lui sied au sein des nations, ne peut en aucun cas rester en marge de cette dynamique nouvelle qu'impose la globalisation. Il est appelé à faire prévaloir ses atouts, notamment touristiques et culturels. Dans ce cadre, La Casbah d'Alger pourrait constituer l'un des atouts majeurs pourvu que... Association des amis d'Alger « Sauvons La Casbah » La présidente : H. Bouhired