Difficile de succéder à Fadéla Amara, l'emblématique présidente de l'association Ni putes, ni soumises. Depuis sa désignation en juin 2007 comme présidente par intérim, Sihem Habchi essuie les critiques de la part de ses consœurs au sein de ce mouvement. Manque de concertation, absence de démocratie, mépris, trop grande proximité avec le pouvoir, les griefs sont nombreux. Mais, il en faut davantage pour déstabiliser ce bout de femme battante et crâneuse. Sihem laisse jaser, minimise les tensions au sein de Ni putes, ni soumises et poursuit son bonhomme de chemin. Naissance dans un bled perdu en Algérie, départ en France à l'âge de trois ans, enfance difficile dans une cité de la banlieue parisienne, hautes études et aujourd'hui une carrière prometteuse dans le mouvement associatif, le parcours de Sihem passe pour un exemple d'intégration à la française. Ne fait-elle pas partie des 14 « Mariannes », dont les portraits ont été accrochés en en juillet et août 2003 au fronton de l'Assemblée nationale française ? Si on avait dit un jour aux parents de Sihem Habchi que leur fille serait habillée en Marianne, qu'elle dirigerait l'un des mouvements les plus connus en France et qu'elle prononcerait un discours à l'ONU en faveur de l'émancipation des femmes et de l'égalité des sexes, ils ricaneraient certainement. Pourtant, leur fille aînée est tout sauf beurre ratée. Ni pute, ni soumise, mais une fille qui compte dans le paysage politique français. L'histoire de Sihem Habchi débute dans la petite bourgade de Aaleg El J'mel, dans la campagne constantinoise. Un pâté de maisons, un puits, un cimetière et un mausolée constituent l'essentiel du hameau dans lequel vivent les Habchi. A l'instar de centaines de milliers d'autres bourgades d'Algérie, Aaleg El J'mel ne dispose ni de l'eau courante ni de l'électricité. Ici, on puise l'eau dans le puits commun, on cuisine et on se chauffe au feu de bois et on s'éclaire à la bougie ou au mieux, au vieux quinquet. Sihem voit le jour le 9 mai 1975 au milieu d'une famille nombreuse. Comme beaucoup de familles nombreuses algériennes, il y avait au sein du foyer familial, la mère, la grande-mère, le grand-père, les cousins et les cousines, les oncles. Cela permet sans doute de compenser l'absence de ce père parti très tôt en France, au milieu des années 1950, pour tenter de trouver un travail et envoyer une maigrelette pension qui permettra de nourrir les siens. Illettré, le père de Sihem doit trimer et vivre pendant plusieurs années de petits boulots avant de faire enfin son petit trou, comme ouvrier dans l'isolation des centrales thermiques et nucléaires. Bien sûr, chaque été, il revient passer quelques jours au bled avec les siens avant de repartir dans la grisaille parisienne, mais l'éloignement pèse. Las de faire des allers-retours entre la France et l'Algérie, il fait venir en 1978 sa femme, Sihem et sa petite sœur de 6 mois dans le cadre du regroupement familial. Une écorchée vive Les Habchi s'installent alors dans un logement social dans la région parisienne. Au fil des ans, la famille s'agrandit – en plus de Sihem, la mère donnera naissance à quatre sœurs et un frère –, tant et si bien que le petit appartement de 50 m2, dépourvu de douche, s'avérera trop exigu pour huit personnes. Mais qu'importe, le père et la mère ont connu pire. L'essentiel n'est-il pas que les enfants réussissent dans leurs études ? De ce côté-ci, le père en sera plus que comblé. Son fils sera consultant dans l'industrie, une des filles travaillera dans la communication, une autre sera étudiante dans une école supérieure de commerce et la dernière poursuit un bon cursus au lycée. Et Sihem ? Après des études de médecine, puis de lettres modernes, elle obtient en 2001 un diplôme d'études supérieures spécialité « chef de projet multimédia, ingénierie de formation » à l'université Pierre et Marie Curie de Paris. Une pure merveille cette fille, mais quel sacré caractère ! C'est que chez les enfants des Habchi, l'aînée s'est toujours distinguée par un caractère trempé, un esprit rebelle, un tempérament d'une écorchée vive. A sa majorité, Sihem, jusque-là titulaire d'une carte de résidence de 10 ans, opte pour la nationalité française. Déjà, le désir de s'émanciper, l'envie de se prendre en charge, d'affirmer sa différence, sa personnalité. « J'ai réalisé qu'il fallait que je mette ma vie et mes papiers en cohérence, confie-t-elle au quotidien Le Monde. J'ai déposé un dossier, j'ai patienté deux ans et j'ai obtenu la nationalité. » Aujourd'hui, à la suite de nouvelles dispositions de loi promulguées en 2006 sur instigation de l'ancien ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, elle aurait attendu quatre ans avant d'obtenir ses papiers. En conformité avec ses convictions de fille en quête d'émancipation, elle quitte le cocon familial peu de temps après son bac pour s'installer dans son propre appartement. Bien sûr, les parents ne voient pas d'un bon œil tout cela. Quoique « farouchement laïc », le père bougonne et la mère refuse de se rendre au nouveau domicile de sa fille. Sihem ne leur tiendra pas rigueur. « Le lendemain de mon départ, raconte-t-elle encore, j'étais là au dîner pour dire à mes parents que je ne les reniais pas, que j'avais juste besoin de liberté. » Vient ensuite la découverte de Fadéla Amara. C'est en écoutant donc Fadéla Amara s'exprimer sur un plateau de télévision en 2003 que Sihem décide de rejoindre l'association Ni putes, ni soumises. Entendre Fadéla, réputée femme à ne pas avoir sa langue dans la poche, est comme une révélation. Aujourd'hui encore, Sihem parle de cet épisode avec des mots crus. Figure de proue du mouvement associatif féminin, Fadéla Amara, ancienne conseillère municipale du Parti socialiste dans la région de Clermont-Ferrand, fille d'immigrés kabyles, est à l'origine de l'association Ni putes, ni soumises. Marianne la beurette Créée en 2003 au lendemain d'une marche organisée en hommage à Sohanne Benziane, l7 ans, brûlée vive en 2002 dans un local poubelle de Vitry-sur-Seine, une cité de la banlieue parisienne, Ni putes, ni soumises se veut l'étendard de la lutte pour l'émancipation des filles et des garçons, l'égalité des sexes, la laïcité et la mixité dans les quartiers difficiles. Ni une ni deux, une semaine après avoir vécu cet électrochoc en direct, Sihem Habchi débarque dans les locaux de l'association pour en devenir un membre très actif. Elle s'occupe du site internet, investit le terrain, se rend dans les banlieues et les quartiers à problèmes, ne manque pas de prêter une oreille attentive aux filles et aux femmes en détresse, mais élabore surtout le projet Guide du respect. Diffusé à 100 000 exemplaires, ce fascicule se veut une sorte de bible pour les règles de base de vie en société. « Quand une petite fille grandit, elle devient une femme, pas une pute », figure parmi les nombreux slogans utilisés lors du lancement de ce guide. Peu avare en engagements, Sihem donne même son accord pour que son image soit utilisée dans une campagne intitulée « Mariannes contre l'intolérance », aux côtés de treize autres jeunes femmes black, blanc, beur. Pendant plus d'un mois, de juillet à août 2003, le portrait de Sihem, yeux clairs, tignasse bouclée, nez aquilin, joues rondelettes et port altier, trônera devant l'entrée de l'Assemblée française. Elle, la fille d'un travailleur immigré algérien dans la posture de Marianne, effigie de la République française, symbole de la triptyque « Liberté, galité, Fraternité » ; Marianne, la représentation symbolique de la mère patrie fougueuse, guerrière, pacifique, nourricière et protectrice ; Marianne, la fille des Lumières, il faut avouer que le geste ne manque pas de culot. Mais Sihem y voit plutôt une sorte d'adéquation avec les principes auxquels elle croit. Sous le portait, on peut ainsi lire cette phrase rédigée des mains de Sihem « Pour moi, Marianne, c'est l'alliance du courage, de l'énergie et de la volonté ». Erreur de casting ? Le tournant du parcours de Sihem interviendra en juin 2003, lorsque Fadéla Amara est nommée, par le président Nicolas Sarkozy, secrétaire d'Etat chargée de la Politique de la ville dans le gouvernement de François Fillon. Sihem assure l'intérim, mais doit faire face à une série de critiques que la nomination de Fadéla n'a pas manqué de susciter au sein de l'association ainsi qu'au sein de l'opinion publique française. C'est qu'ils sont nombreux ceux qui voient dans le geste de la présidente de Ni putes, ni soumises, une faute politique, sinon une erreur de casting. L'association ne vend-elle pas son âme au diable, quand sa présidente rejoint les rangs de Sarkozy, auteur des mots « racaille » et autre « nettoyage au Karcher » ? Comment Fadéla, cette fille d'ouvrier algérien, cette militante des luttes contre la discrimination, contre les inégalités sociales, pour l'intégration, peut-elle siéger aux côtés de Brice Hortefeux, ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale, initiateur des test ADN et champion des expulsions, sans porter préjudice au combat que mène l'association ? Sihem doit-elle s'en démarquer ou plutôt assumer jusqu'au bout le choix de son amie ? Fidèle, Sihem refuse de jouer la funambule. L'arrivée de Fadéla dans un exécutif de droite est l'occasion d'y défendre des idées de gauche, explique-t-elle. « Sa nomination au gouvernement, comme celle de Rachida Dati et de Rama Yade, va nous faire gagner cinquante ans. Il faut que la politique, à droite comme à gauche, s'ouvre à la diversité. Sinon, les partis resteront des castes et la démocratie verrouillée. » Prochainement, au nom de l'association Ni putes, ni soumises, Sihem Habchi sera présente aux côtés de Nicolas Sarkozy pour la remise du prix Simone de Beauvoir à l'écrivaine bangladaise, Taslima Nasreen, menacée de mort par les islamistes. « On n'est pas nombreuses dans le monde à se battre contre l'intégrisme, contre les obscurantistes de tout bord, affirme Sihem. Il faut aider Taslima comme on peut. Il fallait un message fort de la France, pays des droits de l'homme, en direction de Taslima et du gouvernement indien. » Sacrée bout de femme cette Sihem. PARCOURS Sihem Habchi est née le 9 mai 1975 dans un petit hameau dans la région de Constantine. Elle quitte l'Algérie à l'âge de trois ans et s'installe en France avec sa petite sœur, sa mère et son père dans le cadre du regroupement familial. Après des études de médecine, puis de littérature, elle obtient en 2001 un diplôme d'étude supérieure spécialité « chef de projet multimédia, ingénierie de formation » à l'université Pierre et Marie Curie à Paris. En 2003 , elle rejoint l'association Ni putes, ni soumise, présidée par la franco-algérienne Fadéla Amara. Lorsque cette dernière rejoint en 2003 le gouvernement de François Fillon, Sihem en devient la présidente par intérim.