Figures particulièrement attachantes parce que proches du peuple, nos trois poétesses crient leurs rêves ou leurs incertitudes. L'une, Khadra Latrache, ne veut plus être une femme qui tremble sous le seul effet d'un regard. Pour l'autre, Nadia Belkacemi, les bruits distants du monde et les espérances saccagées se mêlent dans la déraison et l'effroi. Enfin, la troisième, Leila Nekkache, s'interroge sur les hommes qui ne s'aiment plus. Sous sa plume, les doigts baguées d'or et de corail / Sur l'agonie et le malheur accompli / Se confondant avec l'irréparable/ Et les volontés qui rompent la chair et le sang. Nos trois poétesses aux métiers très différents – une banquière, une journaliste et une pharmacienne – ont uni leurs voix de femmes et de citoyennes. Inspirées par des sentiments forts qui sont éructés dans des poèmes de grande colère, empreints de tristesse complaisante ou de désespoir pour Khadra Latrache, exprimés à travers la lucidité des peuples afin que l'amour ne soit pas vendu aux enchères, comme le veut Nadia Belkacemi ou traduits par l'engagement militant et le langage du « nif » chez Leïla Nekkache, jusqu'à devenir synonymes de communion et tracer un chemin jusqu'aux horizons du cœur. Voici donc, éthérés au possible, aériens, des vers qui vous transportent dans une poésie du dedans, vers des contrées où l'homme a pris le pas des ombres inutiles pour dévier le cours des mémoires qui s'accrochent aux images sanglantes. On y relève également les souvenirs de l'aube maternée d'une enfance qui éblouit et qui s'envole, puis interpelle la mère – je n'ai pas envie de grandir – pour revendiquer plus loin, au zénith de la vie, le délice d'être une femme et, vers le crépuscule, la promesse d'être là pour le premier cheveu blanc. La poésie de nos trois dames s'aventure timidement aussi sur les chemins de l'amour pour en dégager l'émerveillement et la sensation, Découvrant l'éveil des désirs / Tout est encore à vibrer et, plus loin, Tous mes sens reculent / Son souffle m'enivre / Je me noie dans ma sueur. Nos trois poétesses nous donnent des preuves par la poésie que le poète a toujours raison de sen tenir à la vérité du beau et à l'émotion du mot. Mais qui l'entend ? Qu'importe, écrivez, écrivez, mesdames, tels sont les propos d'un fidèle lecteur. J'invite à la découverte de cet ouvrage qui m'a procuré un moment de plaisir en vagabondant dans de hauts lieux, habituellement inaccessibles. Je me suis retrouvé un instant sur nos Hauts-Plateaux, serein, en paix avec moi-même. A signaler, incluses entre les textes, les quatre miniatures de Mohammed Racim ainsi que la bonne présentation de l'ouvrage. Enfin, rendons hommage au travail de la librairie Mille-feuilles, petite mais active et valeureuse, qui sait encourager autant à lire qu'à écrire. Trois femmes et un vers… Khadra Latrache, Nadia Belkacemi, Leila Nekkache. Edition Mille-feuilles, Alger, 2008.