Le président Bouteflika a jeté hier un gros pavé dans la mare lors de l'allocution prononcée devant le congrès des moudjahidine en appelant à « la fin de la légitimité révolutionnaire ». « Il est temps de lever la tutelle sur la souveraineté du peuple », a plaidé le chef de l'Etat, relevant que « la période de la légitimité révolutionnaire en Algérie qui a duré 50 ans est suffisante pour rendre la souveraineté au peuple ». C'est la première fois qu'une personnalité algérienne, de surcroît à un tel niveau de responsabilité, s'aventure sur un tel terrain qui relève presque du domaine du sacré. Depuis l'indépendance, les institutions ont fonctionné sur la base de ce principe régalien qui avait régulé toute la vie du pays. Des compétences se sont ainsi vues marginalisées parce que n'ayant pas eu le privilège de participer à la révolution, victimes de leur jeune âge ou pour d'autres raisons. Le statut de supercitoyens accordé aux moudjahidine et tous les privilèges qui leur sont servis ont fait que la carte et la qualité d'ancien moudjahid étaient devenues un document très convoité. C'est ainsi que la reconnaissance morale de la nation envers les hommes et les femmes qui ont libéré le pays du joug colonial s'est alors transformée, avec toutes les dérives auxquelles l'on a assisté depuis l'indépendance avec la complicité des différents gouvernants qui se sont succédé, en une dette publique monnayable en espèces sonnantes et trébuchantes. Pour mieux creuser encore le fossé au sein de la population, on a créé un concept nouveau : la famille révolutionnaire. De là sont parties toutes les dérives que certains moudjahidine ne craignent pas de dénoncer haut et fort aujourd'hui, telles que la question des faux moudjahidine. La participation à la guerre de Libération nationale a été comprise par certains moudjahidine comme la reconnaissance d'une immunité valable en tout lieu et en tout temps. Pour n'importe quel problème, on exhibe la carte. Et toutes les portes s'ouvrent. Prioritaires dans l'accès aux privilèges, aux postes de travail et de responsabilité, la légitimité révolutionnaire est devenue un véritable sésame capable de forcer les portes les plus hermétiques. Personne n'avait le courage de dénoncer jusqu'ici cette Algérie à deux vitesses même sous sa forme diplomatique, comme l'a fait hier le président Bouteflika, qui a préféré situer le débat au niveau principiel en évoquant la fin de la légitimité révolutionnaire sans trop s'attarder sur les autres aspects qui sont aujourd'hui objets de polémiques dans la famille des moudjahidine et d'une manière générale au sein de la société. Aussi la sortie de Bouteflika, qui a appelé à la nécessité de fermer la longue parenthèse de la légitimité révolutionnaire au nom de laquelle le pays a été géré, apparaît-elle comme une véritable (contre) révolution entendue dans son sens positif. Le tout est de savoir comment le président de la République s'y prendra-t-il pour donner un contenu pratique au mot d'ordre qu'il a lancé devant le congrès des moudjahidine pour renvoyer la légitimité révolutionnaire au musée de l'histoire et adapter le pays aux règles de fonctionnement des nations modernes fondées sur la légitimité démocratique des urnes et les critères d'efficacité et de compétences. Cela n'enlèvera rien aux marques de gratitude et de reconnaissance de la nation envers nos moudjahidine qui sont la fierté et un patrimoine commun à tout le peuple algérien.