Pour le président de la République, l'exercice du pouvoir politique ne doit plus se faire au nom de la légitimité révolutionnaire.Pour le président de la République, l'exercice du pouvoir politique ne doit plus se faire au nom de la légitimité révolutionnaire. “Nous ne sommes plus le 1er novembre 1954 ou le 5 juillet 1962”, a-t-il dit. Par ailleurs, Mohamed-Chérif Abbès a révélé à Liberté la suppression des pensions attribuées à des personnes ayant usurpé la qualité de moudjahid. De la légitimité révolutionnaire et historique à l'écriture de l'histoire à proprement parler en passant par les dérives socialistes du régime — dont il est issu —, le chef de l'état, ancien ministre des Affaires étrangères, aura encore une fois balisé et à dénoncer. Il a balisé, hier, par des recommandations destinées à être appliquées à la lettre et dénoncé par des remises en cause clairement identifiées. “Finie la légitimité historique.” La famille révolutionnaire ne devrait pas apprécier. Ses béquilles historiques sont brutalement et subitement brisées au détour de ce discours de M. Abdelaziz Bouteflika. Devant les congressistes aux yeux ébahis de l'Organisation nationale des moudjahidine, il a coupé l'herbe sous leurs pieds. Une bonne fois pour toutes, comme pour signifier la fin d'une période jalonnée de faux papiers, de repères trompeurs, de référence usurpée, de nature tronquée. Ceux qui l'ont applaudi à son entrée et entre les espaces blancs des lignes de son allocution ont dû l'ovationner aussi sur son verdict cinglant. En une phrase, énoncée tel un sacrement, Bouteflika a effacé quarante ans d'errance. “La légitimité révolutionnaire dans l'exercice du pouvoir est finie. Elle est bel et bien finie. Il faut, désormais, changer les mentalités ; nous sommes dans un monde dont les repères ont changé, un monde auquel nous devons nous adapter. Je le répète devant vous et devant le peuple algérien : nous ne sommes plus le 1er Novembre 1954 ni le 5 Juillet -1962 !” “Il est temps de lever les tutelles sur le peuple.” Sur sa lancée, celui que l'ONM a désigné, hier, président d'honneur a plaidé la “cause” du peuple algérien. “Ce peuple n'a plus besoin de tuteur, a-t-il dit au moment de rendre hommage à l'armée dans sa lutte contre le terrorisme. Il n'accepte plus qu'on lui impose des chapelles, de quelque nature que ce soit. Il doit recouvrer sa souveraineté, toute sa souveraineté”. “Il est temps, a-t-il ajouté, de se retourner vers la jeunesse et semer en elle le sentiment de fierté nationale ; que, enfin, l'Algérien se reconnaisse et s'identifie en tant qu'Algérien avant tout”. “Rendre à César ce qui appartient à César.” S'il ne fait pas grand cas “de ceux qui ont usurpé le titre d'anciens maquisards”, Bouteflika plaide volontiers pour une attribution juste et équitable des mérites et des récompenses. Dire, dans le contexte important de l'écriture de l'histoire, qu'il faille “rendre à César ce qui appartient à César, et le reste à Dieu” ne peut être dissocié de la question non moins importante des usurpateurs de titres dont le chiffre officiel livré par Mohamed-Chérif Abbès dépasse les dix mille. En l'occurrence, M. Bouteflika recommande de ne pas exploiter les points de discorde et les erreurs de l'histoire pour les besoins de la division et de l'accusation non constructive et abusive. “Nous avons, a-t-il préconisé, besoin d'une histoire qui nous réconcilie entre nous ; nous n'avons nul besoin d'une histoire régionaliste ni sélective ni d'exclusion. Evidemment, il nous est interdit de cacher la vérité aux Algériens et aux Algériennes ni d'occulter les erreurs ni de dénaturer les faits ; il est attendu de nous de présenter aux nouvelles générations une vision — de l'histoire — objective, logique, complète et scientifique, et non pas une vison sacralisée ou diabolisée. La ruse, en la matière, est précisément d'éviter la ruse. Si nous voulons la réconciliation, la solution ne peut être qu'entre nos mains.” “Oui, il est possible de réaliser une amnistie générale.” M. Bouteflika assume pleinement son idée d'amnistie générale, annoncée pour la première fois, le 31 octobre dernier, dans cette même salle du Palais des nations durant son discours prononcé à l'occasion du 50e anniversaire du déclenchement de la Révolution. Hier, il l'a encore appuyée, l'adossant au droit du peuple à disposer de son destin, comme le référendum, ou presque. Il l'a défendue bec et ongles devant des délégués des moudjahidine inconditionnellement approbateurs. “L'amnistie générale est du ressort exclusif du peuple algérien, il est de son plein droit de la revendiquer et de se l'approprier”, a-t-il déclaré. “Je respecte la liberté d'opinion, mais…” La philosophie du premier magistrat du pays sur le sujet est pour le moins curieuse. Elle est basée d'abord sur le principe de la consécration et de la reconnaissance, ensuite sur une sorte de négation inquiétante. “Je vais respecter la liberté de pensée, le pluralisme politique, le choix libre et l'avis contraire”, a-t-il commencé par concéder. “Nous avons veillé à débarrasser l'Algérie de ses maux, créant au sein de la société un mouvement basé sur la liberté de pensée, de conscience, de parole, et sur le pluralisme”. Cependant, a-t-il nuancé, “la démocratie, le pluralisme, les droits de l'homme, tout cela est une culture. Je considère que, dans ces domaines, nous sommes dans le camp des apprentis, nous avons la capacité d'apprendre et nul doute nous apprendrons. Nous apprendrons une fois la sécurité et la paix rétablies sur l'ensemble du territoire et recouvrées par l'ensemble des Algériens. Une fois ces deux facteurs concrétisés, tout sera possible.” La carte politique ? Elle n'a aucune chance d'être revue, a tranché Bouteflika, “il est impossible d'y toucher dans le contexte actuel”. “Les pseudo-exégètes appellent à un nouvel islam.” Sa plaidoirie en faveur de l'amnistie générale ne l'a pas empêché de rappeler les dangers de l'islamisme et du terrorisme. Dans son discours, il a ainsi dénoncé “les initiateurs de la prédication trompeuse dans le sens d'un nouvel islam”. Des initiateurs “dont le mouvement est conduit par de pseudo-exégètes, et même par des analphabètes en marge de la société”. “Le socialisme est la philosophie des anges !” La formule est, en elle-même, philosophique. Devant l'ancien président, Chadli Bendjedid, assis au premier rang, Abdelaziz Bouteflika n'a pas manqué d'évoquer le socialisme, doctrine par excellence adoptée par le régime algérien pendant des décennies. “Le socialisme, selon lui, est la philosophie des anges”. Il a révélé que les émirats arabes unis, auprès desquels il a été conseillé pendant plusieurs années, sont le seul pays où cette philosophie a réussi. En fait, s'il a évoqué le socialisme c'est pour inciter à l'ouverture économique. “Nous ne pouvons plus vivre en vase clos, mais plutôt accompagner le changement multiforme en cours dans le monde. Dieu a doté notre pays de ressources riches en hydrocarbures, faisons en sorte de trouver d'autres ressources et d'autres richesses. Le secteur public n'a plus droit de cité aujourd'hui”, a dit le chef de l'état. “Avec les Sahraouis, même si nous devions nous retrouver seuls.” Le président a, une nouvelle fois, cherché et plaidé la réconciliation et le rapprochement avec le Maroc. “Nous avons hâte de retrouver nos frères, hâte de supprimer les visas, hâte de rouvrir les frontières, hâte de rapprocher nos points de vue et de construire enfin cet espace maghrébin”, a-t-il souligné. Il a rappelé que la position algérienne vis-à-vis de la question du Sahara occidental était toujours la même. “Nous disons clairement ceci : ce dossier ne peut se régler que dans le cadre des Nations unies et du droit international. Nous respectons et respecterons le principe de l'autodermination même si nous devions nous retrouver seuls. Les résolutions onusiennes stipulées ne souffrent d'aucune ambiguïté, le Maroc et le Front Polisario sont les deux parties concernées par le conflit ; elles doivent se conformer à la légalité internationale. Nous applaudirons la solution qu'ils auront trouvée dans ce cadre, quelles que soient sa nature et sa portée. Après les Accords d'Evian, en 1961, et l'acquisition de l'indépendance, nous avons quand même recouru au référendum pour donner la parole au peuple ; comment peut-on, au nom de ce principe, refuser au peuple sahraoui son droit à l'autodétermination ? Cela est inconcevable pour l'Algérie”, a résumé Bouteflika. S. L./ L. B.