Au matin du 25 novembre 1970, Yukio Mishima), le plus illustre des écrivains japonais du XXe siècle, donnait l'impression, à travers une mise en scène des plus macabres, d'avoir livré à ses lecteurs tout ce qu'il avait dans son répertoire de romancier, de poète et de dramaturge. Célébrité oblige, il réussit, en compagnie de quatre des disciples de son organisation paramilitaire, à s'introduire, sans aucune difficulté, dans le quartier général des forces japonaises d'autodéfense. Sitôt le commandant en chef séquestré, Mishima se mit sur un balcon pour haranguer les militaires de la nouvelle génération en exaltant les valeurs patriotiques du Japon traditionnel. Emporté par sa passion, il s'était, apparemment, trompé de champ de bataille, puisqu'il fut la risée d'une jeunesse ballottée par le vent de la modernité et de l'occidentalisation. Plein de dépit, et décidé plus que jamais à se donner en exemple, il accomplit alors le seppuku, le suicide rituel par l'ouverture du ventre, et se fit décapiter par l'un de ses compagnons. Ce ne fut guère un « suicide par imprudence », pour reprendre une expression de Paul Valéry. Le geste de Mishima, si bien calculé, demeure pour le moins inexplicable. D'autres grands écrivains avaient avant lui, échafaudé la même mise en scène avec presque le même découpage technique : Federico Garcia Lorca qui se plaisait à répéter les scènes théâtrales macabres ; Al-Mutanabbî qui avait décidé d'affronter des adversaires plus rompus aux armes que lui Ernest Hemingway, en pointant son fusil de chasse sur sa mâchoire ; Tarafa Ibn Al-Abd en allant sciemment vers la mort et tant d'autres encore. Habitué donc à la mise en scène théâtrale et cinématographique, Mishima, en romancier méticuleux, avait tout d'abord rangé, sur son bureau, le manuscrit de sa fameuse tétralogie, La Mer de la fertilité, pour être envoyé à son éditeur. Pour la scène finale, il s'était, en vérité, bien exercé depuis de longues années. Dès 1960, Il eut même un avant-goût du seppuku lorsqu'il joua son propre rôle dans un film tiré de sa nouvelle, Patriotisme, qui fit date dans l'histoire de la littérature japonaise. On y voyait le protagoniste se dédommager en quelque sorte suite à son échec à mener une révolte contre l'Empereur du Japon en 1936. En fait, les huit cents jeunes de la caserne attendaient l'écrivain, pas le militariste imbu des principes des samouraïs et des traditions du Japon classique. Mishima, amoureux des lettres occidentales, aimait quand même se ressourcer dans les écrits classiques japonais, tout particulièrement dans le célèbre Hagakure de Yamamoto Tsunetomo, samouraï et écrivain du XVIIe siècle. Ce qui l'intéressait au premier chef, c'était la gestuelle des samouraïs et, surtout, la manière d'affronter la mort violente. Ce faisant, il plaçait, à la fois, l'esthétisme et la mort au cœur de ses romans et de sa propre vie. Qu'attendre d'un écrivain sinon d'être un catalyseur de belles choses ? A quoi bon la littérature si elle menait vers le mal ? Est-ce une manière, de la part de Mishima, d'avoir tout dit, de ne pouvoir rien dire de mieux ? Ce qu'il y a de certain, c'est que les analystes, les historiens de la littérature et, à leur suite, les cinéastes, ont eu depuis, du pain sur la planche tant le geste final de Mishima est demeuré une espèce d'interrogation permanente.