Dix-neuf mars 1962, la guerre est finie. Les Accords d'Evian consacraient le droit à l'autodétermination du peuple algérien et sanctionnaient ainsi l'échec de la politique du tout militaire des autorités coloniales. La détermination du peuple algérien, exprimée haut et fort notamment lors des manifestations historiques du 11 décembre 1960, avait obligé les autorités françaises à s'asseoir autour de la table de négociations avec les « fellagas » ! Le mérite, tout le mérite, revient donc au peuple qui a su transcender les querelles de ses dirigeants, dont les conséquences perdurent à ce jour. Il avait clairement signifié sa volonté de vivre dans la liberté, la démocratie et le respect de ses droits fondamentaux. Des valeurs modernes, véhiculées depuis l'Etoile Nord africaine en 1926, mais qui, malheureusement, ont été trahies au lendemain de l'indépendance confisquée. Pourtant, la déclaration de novembre 1954, ce serment qui avait scellé la lutte libératrice, avait tracé les contours du futur Etat censé réguler le pouvoir à partir des diverses exigences de la société. L'Etat est devenu rapidement et exclusivement l'enjeu de la politique au lieu d'en être le moteur. Ainsi, l'hégémonie de la glorieuse ALN durant la guerre de libération, jalousement préservée par les colonels des frontières, n'était en fait qu'un gage de l'avenir pour réaliser le schéma parfait d'un système populiste, mais autoritaire et répressif que nous subissons aujourd'hui encore. Sinon, comment expliquer qu'à partir du congrès de Tripoli et la constitution du bureau politique du Front de libération nationale, les Algériens furent les témoins impuissants de la marginalisation de nombreux cadres et de valeureux moudjahidine et de la grave crise politique qui faillit être fatale à l'unité nationale symbolisée par le FLN historique ? Une crise politique dont la conséquence consacrera et pour longtemps la suprématie du militaire sur le politique. Car depuis 1962, au lieu de s'atteler à une bonne gouvernance à promouvoir la démocratie, respecter l'alternance à tous les niveaux de la décision politique ; tous les pouvoirs qui se sont succédé ont plutôt pratiqué leur hobby fétiche : le rodéo. Une activité sportive yankee, donc copiée comme nos textes et qui consiste à se maintenir en selle le plus longtemps possible. Les variantes introduites localement permettent de jouer à distance dans la plus forte « neutralité », sans discrimination d'âge. Nul besoin des compétitions politiques nécessaires à toute évolution vers la prospérité, la liberté et la dignité qu'elles procurent. Le maintien et la longévité au poste de commande importent plus que la plus belle des autodéterminations. Aujourd'hui, quarante- quatre ans après la première crise politique de l'Algérie indépendante qui, en vérité, est l'origine lointaine des actuels échecs, des acteurs de l'époque continuent de nous « suggérer » la démarche à suivre, à nous désigner l'homme qu'il nous faut, au détriment du principe de l'alternance et plus grave, de la souveraineté du peuple. Alors, il est grand temps que les anciens moudjahidine, à qui l'Etat algérien – qui reste à édifier – doit la naissance, admettent que s'ils ne sont plus en âge d'être la pépinière destinée à pourvoir en chefs les partis, les organisations autonomes et les institutions, ils se doivent d'être cette école qui veille à l'ancrage et à la pérennité des idéaux de démocratie, des droits de l'homme, de liberté d'expression et de l'alternance au pouvoir. Des droits actuellement en danger, alors que les Algériennes et les Algériens attendent plutôt de voir l'urne refléter, pour une fois, fidèlement leur volonté, dans une entière transparence.