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Hommage aux négociateurs algériens
46e anniversaire des accords d'Evian
Publié dans El Watan le 19 - 03 - 2008

La présidence de la délégation algérienne aux premières négociations gouvernementales algéro-françaises sera assurée, du début jusqu'à la fin, c'est-à-dire jusqu'au 18 mars 1962, par Krim Belkacem.
A cette époque-là, il était le seul dirigeant en mesure d'imposer une autorité indiscutable tant aux militaires membres du GPRA (Boussouf et Bentobbal), qu'aux dirigeants du FLN et aux ministres politiques qu'ils fussent d'origine CRUA, centralistes ou anciens de l'UDMA. Krim Belkacem a été brillamment secondé, durant ces négociations, par des hommes remarquables tant du fait de leur engagement en faveur de la paix et du triomphe de la liberté du peuple algérien, que du fait de leurs éminentes qualités de négociateurs et de « debatters » face à des négociateurs français compétents et coriaces. Parmi ces négociateurs algériens, une mention toute particulière devrait être réservée à Ahmed Boumendjel, Tayeb Boulahrouf, Ahmed Francis, Saad Dahlab, Mohamed Seddik Ben Yahia et Redha Malek. Tous, d'une manière ou d'une autre, se sont distingués par leurs compétences, leur habilité et leur fermeté. C'est Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes, qui a présidée la délégation française. En fait, c'est de Gaulle qui, de Paris, l'a dirigée, jour après jour, jusqu'a la fin. La délégation française lui doit non seulement ses orientations générales et ses directives ponctuelles, mais aussi ses suggestions pour les sorties de crise, sa fermeté et la fertilité de son imagination. En fait, de Gaulle était consulté quotidiennement sur tout et il lui en était rendu compte surtout, à tout instant. A titre d'exemple de son intérêt et de sa vigilance pour tout ce qui touchait la rencontre, c'est lui qui a rédigé de sa main le protocole de la cérémonie d'arrivée de la délégation algérienne en terre française à Evian, le 20 mai 1961, en provenance de Suisse. Voici le texte de la note manuscrite de de Gaulle qu'un émissaire français a confiée à Olivier Long, l'incomparable Monsieur « bons offices » suisse, le 18 mai 1961, pour qu'il la remettre à son tour à la partie algérienne, avant son départ du territoire helvétique pour Evian. « Il convient, dit de Gaulle, de se souvenir que les délégations représentent des combattants. Aussi, ne serait-ce que par respect pour les combattants eux-mêmes, les rapports des deux délégations devront être marqués de la plus grande simplicité et même de la plus grande austérité. Cette règle sera limitée au temps des combats, elle ne préjuge en rien l'avenir. Dans ces conditions, la délégation du FLN comprendra que ce ne sera en aucune façon par dérogation aux règles de la courtoisie protocolaire que le sous-préfet de Thonon-les-Bains ne pourra leur serrer la main. Pour les mêmes raisons, cette disposition sera également valable à l'intérieur de la salle des séances. »
L'ouverture sans témoin des négociations à Evian I (20 mai 1961)
L'ouverture d'Evian I a eu lieu le 20 mai 1961 à 11h, à l'hôtel du Parc. Le moment est solennel et symbolique. Il scelle la fin d'une époque pour la France en Algérie et le début d'une ère nouvelle pour le peuple algérien. C'est la première fois, en effet, depuis juillet 1830, c'est-à-dire depuis 131 ans, qu'une délégation ministérielle algérienne rencontre officiellement une délégation française présidée par un membre du gouvernement français non pas pour discuter de reddition, de soumission et d'aman, mais pour s'entendre avec elle sur les modalités de la décolonisation et de la libération de l'Algérie, en vue de restaurer son indépendance nationale et sa souveraineté. « Le gouvernement français était tellement conscient de l'importance symbolique de l'événement et de l'effet désastreux que sa diffusion par l'image pouvait provoquer dans l'opinion publique française, dans I'Hexagone, ainsi qu'en Algérie sur l'Armée française et les pieds-noirs qu'il a décidé de la censurer et d'en effacer toute trace audiovisuelle pour la postérité. A cet effet, des instructions avaient été données et des dispositions avaient été prises pour qu'il n'y ait pas de témoin de cette séance d'ouverture. Et surtout pas de journalistes ni de photographes ou de cameramen. » La rencontre se déroulant en territoire français, les membres de la délégation algérienne ne pouvaient que subir sans broncher la chape de plomb imposée par la partie française sur cette cérémonie d'ouverture. Ils savaient que rien n'était laissé au hasard par de Gaulle en ce qui concernait cette rencontre et que c'était à dessein qu'aucun témoin n'avait été invité à y assister. Pourtant, à entendre, à l'ouverture de la cérémonie, les exposés liminaires des deux chefs de délégation, il n'était pas du tout évident qu'une « solution, négociée, pacifique et mutuellement acceptable » serait aisément accessible à Evian. En effet, pour Louis Joxe : « Il s'agit de discuter des conditions et des garanties d'application de l'autodétermination. Mais cela, ajoute-t-il, n'empêche pas d'envisager l'hypothèse d'une Algérie ‘'souveraine en dedans et en dehors''. La question qui sera posée au référendum est donc celle-ci : ‘'Souveraineté oui ou non ?'' Dans l'affirmative, deux voies se présentent : la sécession ou l'association en toute souveraineté avec la France. Si les populations se prononcent en faveur de la première voie, la France est prête à l'admettre. Mais alors, elle prendra les mesures nécessaires pour sauvegarder ses intérêts en tant que nation et assurer la défense de ses nationaux. Et le chef de la délégation française d'indiquer clairement ses préférences. ‘'La France est prête à envisager une association sur les plans économique, financier et technique, culturel et celui de la défense. Elle le fait avec le désir que cette association soit claire et que le statut des communautés soit établi. Enfin, la France pense à sa sécurité et aux bases(1) militaires qu'elle voulait garder en Algérie''. » La réponse de Krim fut aussi claire. En voici quelques extraits « Le problème pour lequel on se trouve réunis ici, dit-il, est celui de la ‘'décolonisation totale'' de l'Algérie, de la ‘'disparition d'un système périmé et de l'accession de notre peuple à l'indépendance''. Ce n'est pas par xénophobie que nous voulons notre indépendance, mais c'est parce que c'est notre ‘'droit imprescriptible''. Si le gouvernement provisoire de la République algérienne a marqué son accord, le 28 septembre 1959, pour l'autodétermination, c'est parce qu'il était persuadé qu'il pouvait grâce à cette procédure réaliser son indépendance. Encore faut-t-il que cette autodétermination puisse se ‘'dérouler librement'', sans être assortie de ‘'clauses irréalistes'' qui videraient la décolonisation de son contenu. C'est dire que I'intégrité du territoire national et l'unité du peuple algérien doivent être respectées en tout état de cause. ‘'Faisant allusion aux Européens, il précise que l'indépendance, qui n'est pas synonyme pour nous de ressentiment, se conçoit dans ‘'un contexte où les intérêts légitimes des uns pourront s'épanouir dans le respect des intérêts des autres. Tous les hommes de bonne volonté, sans distinction de race ou de confession, auront leur place''. » Comme on peut le constater à travers ces deux extraits des deux déclarations liminaires lors de la première séance, les positions des deux délégations étaient restées absolument inchangées depuis Lucerne et Neuchâtel singulièrement sur la question de l'intégrité territoire de l'Algérie et de l'unité du peuple algérien. La seule nouveauté était la décision française d'observer, d'une manière unilatérale, une trêve d'un mois. La partie algérienne en a pris bonne note, mais sans la commenter ni proposer quoi que ce fut en retour. Dès la reprise dès travaux, le 23 mai, Krim Belkacem pose deux questions préliminaires et demande que des réponses claires leur soient apportées. Elles concernaient :
les départements des Oasis et de la Saoura et leur inclusion dans le champ d'application du référendum
le système administratif en cours en Algérie et son maintien éventuel durant la période transitoire. Krim pose également d'autres questions. Elles portent sur les bases militaires que revendique la France ainsi que sur la conception française de l'association. En réponse, Joxe déclare : « a- Concernant l'assiette territoriale de l'autodétermination : La déclaration du 16 septembre 1959 de de Gaulle est très nette : elle limite cette assiette aux douze départements du Nord (depuis, un département a été divisé en deux, ce qui fait treize départements, mais la superficie n'a pas varié) ; b- Pour ce qui est de la période transitoire, Bernard Tricot (le conseiller de de Gaulle pour les affaires algériennes, indique que ‘'la souveraineté française sera maintenue jusqu'au moment du transfert des compétences. C'est l'Etat français qui devra réaliser ce transfert''. Joxe renchérit : ‘'Il n'y aura pas de vide de souveraineté. Lorsque Ia Savoie a été sous souveraineté italienne''. c- Par ailleurs, la France ‘'entend garder certains points en toute souveraineté. Il est par conséquent juste de dire que ces points ne font pas partie du territoire algériens''(2) car, pour Roland Cadet (expert militaire, membre de Ia délégation française) ‘'les impératifs de la défense permanente de Ia France s'étendent au-delà de Ia ligne bleue des Vosges''. » Conscients que Ia question du Sahara était la pierre angulaire des négociations et qu'elle pouvait faire échouer la conférence si elle ne bénéficierait pas d'une entente des deux parties, les négociateurs français manœuvrèrent pour lui consacrer toute la séance du 31 mars. Finalement, comme à Lucerne et à Neuchâtel, Evian I n'a pas réussi à dégager une solution agréée par les deux parties pour aucune des questions abordées. Il est vrai que toutes les quatre étaient si intimement imbriquées l'une dans l'autre que toute avancée dans l'une eût ouvert Ia porte ipso facto à des progrès dans d'autres. Il était clair par exemple que si l'intégrité territoriale globale de toute l'Algérie (les douze départements du Nord, plus les deux du Sud, Oasis et Saoura) était admise par Ia France, celle-ci ne pouvait plus continuer à contester l'unité du peuple algérien ni l'extension du référendum d'autodétermination à toute l'Algérie. A l'inverse, si Ia délégation algérienne avait acquiescé à ce que le Sahara restât ad-aternam sous souveraineté française, cela eût signifié que Ia GPRA renonçait aux populations des départements de l'Oasis et de Ia Saoura, ainsi qu'aux richesses fabuleuses de Hassi Messaoud, de Hassi R'mel, d'Edjelé et d'ailleurs qui font vivre le peuple algérien depuis un demi-siècle et l'aident à raffermir tous les jours un peu plus Ia place qui est Ia sienne au sein du monde arabe, en Afrique et dans le tiers monde, ainsi que dans ses relations avec l'Europe, Ia Chine, les Etats-Unis et Ia Russie. Le même raisonnement pouvait s'appliquer aux autres questions à l'ordre du jour d'Evian l. D'ailleurs, les états-majors des deux délégations et leurs experts passaient des nuits blanches, après les réunions de la journée, à scruter l'horizon et à s'interroger sur les moyens de convaincre l'autre partie de Ia justesse de la solution qu'ils allaient préconiser sur les questions inscrites à l'ordre du jour des travaux du lendemain. La conférence d'Evian et ses retombées internationales (Nations unies, Etats-Unis, Chine, URSS et pays socialistes) Evian a eu un effet considérable sur l'opinion publique algérienne, sur Ia presse internationale, ainsi que sur les Etats-Unis et leurs alliés de l'OTAN, les Soviétiques et les Nations unies. S'agissant de l'opinion publique algérienne (à l'intérieur du pays, en France, au Maghreb et au Moyen-Orient), les négociations d'Evian I furent incontestablement un ballon d'oxygène et d'espoir. En plus du réarmement moral des combattants de l'ALN et des militants du FLN, les populations et les réfugiés algériens ont considéré ces premières rencontres gouvernementales algéro-françaises à Evian I comme un triomphe de leur cause et comme une consécration, voire une reconnaissance par Ia France de la légitimité de leur combat. Même le report sine die par le GPRA de la rencontre gouvernementale prévue initialement pour le 7 avril 1961, en réaction aux déclarations de Louis Joxe à Oran, le 30 mars, sur les contacts avec les autres tendances, avait été perçu par l'opinion publique algérienne comme une manifestation de force du GPRA, plutôt qu'acte de faiblesse. Il en fut de même quand la délégation algérienne a accepté la proposition de Joxe d'interrompre les négociations d'Evian I, le 13 juin 1961.
Les conférences de presse de Rédha Malek
Le travail d'information et de large diffusion « des positions algériennes » sur les questions débattues, lors des rencontres de presse organisées après chaque rencontre, sous la direction de Redha Malek au Palais du Conseil d'Etat de Genève, a largement éclairé l'opinion publique algérienne ainsi que l'opinion internationale sur les difficultés que la délégation algérienne rencontrait face à l'obstination de Ia délégation française sur des questions aussi vitales que l'intégrité territoriale de l'Algérie, l'algérianité du Sahara ou le champ d'application de la consultation du référendum pour l'autodétermination. 500 à 600 journalistes venus du monde entier participaient tous les soirs à Ia conférence de presse que donnait Ia délégation algérienne. Grâce à ces rencontres, les chancelleries étrangères aussi étaient tenues au courant presque quotidiennement de l'évolution des pourparlers et des positions des deux parties sur les points en discussion. Il n'y a pas de doute que les informations, les analyses et les commentaires de la presse internationale, presque unanimement favorables aux thèses algériennes, ont gravement perturbé le gouvernement français et le généraI de Gaulle. Il n'y a pas de doute, non plus, que ces conférences de presse gigantesques avec grand écran et transmission des questions et réponses par vidéo, ont conduit de nombreux Etats occidentaux à renoncer progressivement à Ia politique d'indulgence et de courtoisie diplomatique qu'ils n'avaient cessé d'observer en faveur de la France, depuis Ie début de la guerre.
L'isolement croissant de la France
L'évolution radicale des Etats-Unis sur Ia question algérienne, après l'élection de J. F. Kennedy, Ia magistrature suprême des Etats-Unis (novembre 1960) et sa prise de position claire, dès son arrivée au pouvoir en faveur de l'intégrité du territoire national algérien et de l'algérianité du Sahara, ont fini par isoler la France sur Ia scène internationale. Une illustration correcte de cet isolement croissant de la France au plan international fut la résolution votée Ie 16 novembre 1961 par l'Assemblée nationale des Nations unies, recommandant l'autodétermination du peuple algérien, l'indépendance de l'Algérie et la négociation directe entre les deux parties concernées. Cependant et sans mésestimer aucunement la lucidité du président J. F. Kennedy à l'égard de la question algérienne dès 1957, il est certain que l'évolution de Moscou et de Pékin dès 1960 en faveur du droit des Algériens à l'indépendance et l'aide considérable (financière et logistique de Ia Chine populaire et du bloc socialiste aux combattants algériens en 1961) ne sont pas étrangères au repositionnement ferme des Etats-Unis sur Ia question algérienne, dès l'élection de J. F. Kennedy en qualité de président des Etats-Unis. En plus de ces revers diplomatiques sévères aux Nations unies, avec Ia Chine, l'URSS, les Etats-Unis et même en Afrique, de Gaulle a dû affronter, en 1960 et 1961, la rébellion de sa haute hiérarchie militaire et des pieds-noirs d'Algérie ainsi que des manifestations populaires impressionnantes du peuple algérien en faveur de l'indépendance nationale et de l'unité territoriale du pays (11 décembre 1960 et 5 juillet 1961). Le mérite de cette évolution généralisée en faveur de Ia cause du peuple algérien revient en priorité absolue au peuple algérien, à sa résistance héroïque, à ses sacrifices indicibles et à sa fidélité inébranlable à l'idéal de liberté, du 1er novembre 1954. Il revient également, nous avons, trop souvent, tendance à l'oublier, aux peuples frères et amis qui ont cru en Ia révolution algérienne dès les premières heures et nous ont aidés de leur mieux en dépit des vicissitudes d'une guerre terriblement dévastatrice, longue et éprouvante pour tous. Le mérite revient aussi et surtout aux djounoud et aux militants tombés au champ d'honneur et à tous ceux qui ont contribué d'une manière ou d'une autre au triomphe de notre cause. Parmi eux, une place de choix devrait être réservée aux diplomates-militants du FLN et du GPRA qui ont travaillé à faire connaître notre combat et à conquérir Ie soutien politique et l'aide financière et logistique.
(1) Procès-verbal des séances établi par la délégation algérienne. Rédha Malek pp. 126-127
(2) Allusion à la base aéronavale de Mers El Kebir revendiquée par Paris lors de la première phase des négociations comme enclave de souveraineté française


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