Coupés du monde pendant deux semaines, avec une télé en noir et blanc pour seule distraction, 1 heure 40 de marche quotidienne et un ravitaillement alimentaire tous les quinze jours : la science exige parfois des sacrifices. Yacine, Omar, Saânoune, Mahaoua et Mohamed, techniciens à l'Office national de la météorologie, en savent quelque chose. Tous les quinze jours, ils se relaient pour monter à l'Assekrem. Là, à 2780 m d'altitude et à 80 km et trois heures de piste au nord de Tamanrasset, ils prennent le pouls du climat. Depuis onze ans, la petite station météo, créée par le service météorologique et prise en charge par les Frères en 1955, fait partie des vingt sites dans le monde inscrits dans le programme de Veille de l'atmosphère globale (VAG), un réseau coordonné par l'Organisation mondiale de la météorologie. Un dispositif scientifique de surveillance du changement climatique. Sélectionné pour son éloignement de toute pollution industrielle, l'emplacement présente et garantit des conditions optimales pour analyser l'état de la couche d'ozone ou encore la concentration en dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Pour les techniciens, en revanche, les conditions de vie sont assez éprouvantes. Le manque d'oxygène ? Leur corps s'y est habitué. Pour Yacine, le dernier arrivé dans le groupe, il faut avant tout trouver de quoi tuer le temps. « Parfois, les touristes de passage viennent nous poser des questions. On les reçoit pour leur expliquer notre travail », explique-t-il. « Mais le plus dur, ce sont les variations climatiques, confie Omar, à ce poste depuis dix ans. Les beaux jours, ça va, mais quand le vent souffle, comme le mois de mars dernier, à plus de 150 km/h, ou quand il fait froid, c'est difficile. » Braver les rafales et affronter la solitude face aux montagnes monacales de l'Ahaggar est le prix à payer pour suivre une donnée sur laquelle la communauté scientifique mondiale a les yeux rivés : la concentration des gaz à effet de serre dans l'atmosphère, en particulier celle en dioxyde de carbone (CO2), le gaz le plus surveillé en raison de son important potentiel de réchauffement. Par courrier aux Etats-Unis Une fois par semaine, les valeurs sont calculées à partir d'un échantillon d'air prélevé par une machine. « Nous remplissons une bouteille de cet air et nous l'envoyons par courrier aux Etats-Unis, où les teneurs en gaz sont analysées », précise Mohammed Mimouni, responsable du programme. Toutes les demi-heures, la station mesure aussi la concentration de poussières dans l'air. Un appareil collecte les particules, ensuite pesées sur une balance électronique affichant leur teneur en kilogramme au mètre cube. L'ozone est également surveillé de près, à la fois à l'Assekrem et à Tam. Sur les hauteurs, des capteurs mesurent le monoxyde de carbone présent dans l'ozone de surface, polluant qui contribue au réchauffement et présente, par sa concentration, un danger pour l'homme et la végétation. En ville, d'autres appareils complètent le dispositif. Trois fois par jour, les techniciens de l'Office national relève manuellement les mesures de l'ozone total, c'est-à-dire l'ozone stratosphérique, cette couche qui nous protège du rayonnement nocif ultraviolet. A partir de différentes formules mathématiques, les techniciens attachés au centre calculent aussi le bilan radiatif, autrement dit, le rayonnement solaire, de l'aube au crépuscule. Les données sont ensuite envoyées dans les centres mondiaux aux Etats-Unis qui font des comparaisons dans les stations. « Infrarouges, diffus, ultraviolets : tous les types de rayons en provenance de l'atmosphère sont étudiés, explique Lamine Boulkelia, ingénieur météo. C'est très important, car l'augmentation ou la diminution du rayonnement au sol se répercute sur la dynamique de l'atmosphère. » Enfin, en collaboration avec un institut de météo espagnol de surveillance et d'analyse de la couche d'air saharienne qui a fourni le matériel, un troisième appareil mesure en continu et de manière automatique la diminution de ce rayonnement par les aérosols (les particules dans l'air, sable, poussières) qui restent en suspension et diminuent le rayonnement solaire. Les données sont transmises par satellite au siège d'Aeronet-aerosol robotic network, à la Nasa qui s'occupe du traitement. Onze ans après le démarrage du programme, que nous révèlent tous ces chiffres ? « Si on devait retenir un fait marquant, c'est incontestablement l'augmentation régulière de dioxyde de carbone, relève Mohammed Mimouni. Nous sommes passés de 360 ppm (partie par million) à 385 ppm fin 2007. Soit une augmentation de 2 ppm tous les ans, un chiffre énorme qui reflète bien l'état du climat mondial. »