Les démons de la violence intercommunautaire se sont une fois de plus déchaînés vendredi à Ghardaïa, plus précisément à Berriane transformée, en quelques dizaines de minutes, en théâtre d'affrontement entre des citoyens de rite malékite et ibadite (mozabites). Ce climat de haine et de confrontation, autrefois latent et contenu parce qu'il y avait un Etat fort qui veillait à travers son appareil répressif pour prévenir de tels débordements intercommunautaires, apparaît désormais au grand jour depuis ces dernières années à la faveur des transformations politiques, économiques qu'a connues le pays. Des transformations qui se sont accompagnées localement par des phénomènes sociologiques de repli identitaire et de réveil brutal des particularismes culturels et cultuels sur fond de revendications sociales pour plus de justice et un accès plus grand aux bienfaits de la rente pétrolière. Bousculant l'ordre ancestral établi fondé sur une vision communautaire stricte et orthodoxe des relations sociales, la jeune génération de Mozabites qui a fréquenté l'école et l'université de la République mais aussi des universités étrangères, contrairement à la génération de leurs parents qui n'a connu que les écoles coraniques comme foyers du savoir et le petit commerce de détail comme horizon économique, accepte mal le statut quasi sectaire dans lequel on enferme leur communauté. Ils revendiquent aujourd'hui le droit à une citoyenneté pleine et entière qui se fait, hélas, dans le désordre, la culture de la haine et de la division. Le boom démographique qu'a connu la communauté malékite locale avec les nouveaux apports venus du Nord induits par le développement de l'industrie pétrolière inquiète la communauté mozabite qui voit son espace vital se réduire comme peau de chagrin. Les Mozabites ont, d'une certaine manière, le pouvoir financier alimenté par le commerce, le négoce et la petite industrie manufacturière, mais ils n'ont pas le pouvoir économique, administratif encore moins le pouvoir politique local. Pas plus qu'ils n'ont de représentation dans les institutions de l'Etat à la mesure des espérances et des ambitions des nouvelles élites mozabites. Depuis l'indépendance, il n'y a eu qu'une seule ou deux nominations de ministres mozabites au gouvernement. Et la remarque vaut pour toutes les structures de l'Etat et pour toutes les autres communautés qui font la richesse et la diversité du peuple algérien et qui se sentent marginalisées, exclues du développement et de l'accès aux postes de responsabilité et de décision. Faire un tel plaidoyer ce n'est pas remettre en cause l'unité nationale ou porter atteinte à ses constantes. Bien au contraire. C'est l'exclusion qui est porteuse de tous les dangers et qui favorise le repli communautaire. L'unique solution des pouvoirs publics pour maintenir le modus vivendi qui a volé en éclats à la faveur des séismes sociaux successifs qu'a connus la région ces derniers temps aura été de dresser une espèce de mur virtuel entre les deux communautés qui se font face dans la même ville de Berriane engendrant ainsi une ghettoisation de la ville. Il faut casser cette logique de la confrontation et du ressentiment intercommunautaire en s'attaquant aux véritables racines du mal que constituent les inégalités sociales et la prospérité mal partagée. Pour le reste, la pratique religieuse et cultuelle, c'est une affaire qui relève de la sphère privée ; elle n'a jamais posé problème dans la région.