Les jeunes médecins et étudiants en médecine, pour leur part fort nombreux, seront repartis dans les unités de l'ALN aux frontières, dans les bases arrières au service des réfugiés et dans les hôpitaux civils marocains et tunisiens qui disposaient de pavillons exclusivement réservés aux combattants algériens malades ou blessés. Enfin, les contingents de moindre qualification, les plus nombreux, ont été pris en charge par les commandements militaires des zones frontalières. A l'Ouest, en particulier, où leur nombre était grand, car issus de l'importante communauté algérienne résidant au Maroc, leur présence n'embarrassa guère le colonel Boussouf, commandant la Wilaya V. Celui-ci, tirant la leçon des lacunes organisationnelles et matérielles de deux années de lutte, imagina rapidement le profit qu'il pouvait en tirer avec une formation rapide dans des domaines où le déficit était patent : les liaisons et le renseignement, le contrôle, la communication, les transmissions, la logistique... Une école des cadres politico-militaire fut créée, des centres de formation des transmissions érigés. Les résultats furent rapides. En quelques mois, l'ALN s'est dotée d'opérateurs radio facilitant les liaisons et les communications. L'aspect opérationnel fut modifié avec la mise en place de centres d'écoute de l'ennemi ; les services de renseignements et de contre-renseignement développèrent un maillage couvrant plusieurs régions géographiques, y compris le territoire français. La plus grande réussite fut la mise sur pied d'un centre d'émission radio qui fit entendre la voix du FLN dès le 16 décembre 1956. Cette formation ne s‘arrêtera pas. Elle se déploiera à l'Est du pays sous la houlette des colonels Krim Belkacem et Amar Ouamrane et ira en s'amplifiant jusqu'à l'indépendance. La jeunesse algérienne venait d'intégrer, en l'assimilant, le domaine de la techno-science, chose impossible à imaginer au départ de la lutte. Un deuxième saut qualificatif sera atteint avec l'ouverture des académies et instituts militaires des pays frères, Egypte, Syrie, Jordanie, Irak. Des centaines d'Algériens intégreront ces centres pour maîtriser les métiers de l'aviation dans toutes ses dimensions : pilotes, navigants, radaristes, ingénieurs mécaniciens, météorologues, parachutistes. Ceux de la marine avec son corollaire les commandos et les hommes grenouilles. Le plus grand nombre allant cependant à l'armée de terre dans ses variantes infanterie, arme blindée, artillerie, génie. Les officiers sortants de cette dernière formation d'infanterie seront appelés, pour partie, par le chef d'état- major général, le colonel Boumediène, pour renforcer son état-major, les autres pour l'encadrement au fur et à mesure des bataillons de l'ALN et pour la formation des nouvelles recrues dans les centres d'instruction de l'ALN des frontières à côté de plusieurs dizaines de leurs frères officiers et sous-officiers déserteurs des centres de formation de l'Armée française (Saint-Maixent notamment). Le lieu d'accueil de cette formation militaire spécifique et multiforme ne se limitera pas aux pays frères. L'Union soviétique et la Chine ouvriront, à leur tour, leurs centres aux pilotes stagiaires algériens pour un complément de formation sur les appareils les plus perfectionnés de l'époque : chasseurs à réaction MIG 15, avions de transport Ilyoutchine, hélicoptères MI.5 à un point tel que ces pilotes étaient opérationnels dès 1961. J'ai parlé jusqu'à présent de la formation à caractère ou à usage militaire qui a servi directement au soutien de la lutte menée par l'ALN, se traduisant par le renforcement de ses capacités opérationnelles grâce à la maîtrise de la technoscience. La vision et les objectifs du FLN allaient cependant bien au delà de ce cadre. Dès 1959, après le discours du général de Gaulle, où celui-ci acculé par la pression militaire, politique et diplomatique du FLN, concède au peuple algérien le droit de se prononcer sur son avenir par un référendum d'autodétermination, le FLN va initier une politique de formation de grande ampleur pour les cadres de l'après-indépendance. Le GPRA, en coordination avec l'UGEMA, optera pour les filières les plus sensibles : pétrochimie, économie, mécanique, hydraulique, génie rural, génie nucléaire, agronomie, géologie, métallurgie, toutes les sciences interdites aux algériens dans les universités françaises de l'époque. Au niveau de l'association que je préside, l'Association des anciens du MALG, nous disposons des données complètes sur l'ensemble de ces actions de formation tant en ce qui concerne le contenu, que le niveau, la durée des études et la liste quasi-complète de ceux qui en ont bénéficié. Nous tiendrons, le moment venu, ce dossier à la disposition des historiens et des chercheurs. Il me reste à présent à conclure et comme je suis en présence de lecteurs avertis, je sais bien que je suis attendu sur un bilan chiffré pour leur permettre d'apprécier, au final, l'apport des étudiants algériens à la glorieuse lutte de Libération nationale. Au plan militaire, j'ai déjà évoqué leur contribution. Au plan politique, la diplomatie algérienne, menée par ces cadres, a marqué des points dans toutes les capitales ciblées et à l'ONU. Au plan politique toujours, les cadres du service de renseignement du GPRA/MALG (plus d'une centaine) prirent une part importante dans la confection des dossiers de négociation avec l'adversaire français dès 1960, grâce à la somme d'informations de grande qualité recueillies aux sources les plus proches du pouvoir français. Au plan de la santé et de la médecine au service de l'ALN, je n'y reviens que pour dire que sur les 200 à 300 médecins et étudiants en médecine que comptait le pays entre 1954 et 1956, plus de la moitié a rejoint l'ALN, dont plusieurs dizaines dans les maquis de l'intérieur du pays. Plus de la moitié y laissera la vie. Parallèlement, des centaines d'infirmiers ont été formés sur le tas. Ceux qui ont été formés, quant à eux, dans d'autres secteurs, se comptent également par centaines. Ainsi : 900 agents des transmissions, (opérateurs, dépanneurs, chiffreurs) ont été formés au sein de 16 promotions et affectés aux unités combattantes de l'ALN et aux services du FLN et du GPRA. 119 parmi eux sont tombés au champ d'honneur dans les maquis de l'intérieur. 250 jeunes ont été formés dans la maîtrise des explosifs, la maintenance et la fabrication des armes. 150 jeunes sont devenus des spécialistes du renseignement. 70 pilotes et techniciens, 40 officiers de marine, 10 hommes grenouilles, 40 officiers de police ont été formés dans les écoles du Moyen-Orient et du camp socialiste. 20 ingénieurs en pétrochimie ont été formés aux Etats-Unis (dont le commandant Abderrahmane Meguatelli, Chakib KheIil et Aït Hocine) et en Roumanie (dont Abdelmadjid Kazi Tani et Mellouk) pour ne citer que les plus connus. 8 spécialistes des mines, de l'électronique et du génie nucléaire ont rejoint en 1959 la RDA et la Tchécoslovaquie. Je les cite parce que c'est important (Ihaddadène Abdelhafidh, Mered Djelloul, Mouffok Hocine, Bennini Abdelouahab, Djebbar Mustapha, Maâchou, Bekhoucha). Trois d'entre eux, les premiers cités, spécialistes en science nucléaire, feront l'objet d'un attentat des services spéciaux français. Leur avion, un Ilyoutchin 18 de la compagnie tchécoslovaque, assurant la liaison Prague-Casablanca, a été abattu le 11 juillet 1961 dans le ciel marocain. 15 ingénieurs électroniciens ont été formés à Leningrad. 83 jeunes ont été envoyés en janvier 1962 à Belgrade à l'Institut métallurgique des fabrications militaires. Cela conforte, on ne peut mieux, ce que le président Abdelaziz Bouteflika a écrit en préfaçant récemment un livre de mémoires Bezouiche le Malgache, d'un jeune et dynamique combattant, Abdelmadjid Maâlem. « Le lecteur d'aujourd'hui doit savoir qu'en sept ans de guerre, l'Algérie combattante a formé dans ses centres, en comptant d'abord sur ses propres forces, un nombre incommensurablement plus élevé de techniciens, de spécialistes et de gestionnaires que la France coloniale n'en a formé en 132 ans. » Soit un bilan largement positif de la contribution de ces jeunes intellectuels, comparativement à ce qui a été fait par des mouvements de résistance dans d'autres pays du globe, y compris le Vietnam, Cuba, l'Afrique du Sud ou même la Résistance française contre l'occupant allemand. Je rappelle pour caricaturer l'apport « civilisationnel » de la France en Algérie, que l'armée française privilégiait dans ses rangs la chair à canon constituée par la plèbe des tirailleurs et des spahis au lieu de la formation élitiste. Nous avons pu dénombrer seulement 4 aviateurs formés (Mahieddine Lakhdari, Abderrahmane Serri, Tahrat Abdelkader et Saïd Aït Messaoudène) qui ont tous rejoint l'ALN d'ailleurs et un seul marin du grade de sous-officier technicien dans l'aéronavale également revenu vers l'ALN (Charef Abdelkader). L'indépendance, chèrement acquise grâce aux multiples sacrifices du peuple (un dixième de la population décimé) et à l'effort surhumain des valeureux combattants de l'intérieur qui n'ont pas plié devant la quatrième puissance militaire du monde, n'a pas pris au dépourvu le FLN qui, en plus de sa mission principale de conduite de la Révolution, a accueilli, encouragé et forgé une élite d'hommes et de femmes, à partir d'une jeunesse intellectuelle motivée pour l'action, au point d'en faire, au niveau de l'Etat algérien restauré, les piliers incontournables et l'ossature solide de l'armée, la haute administration centrale et territoriale, la diplomatie, les services de sécurité, les services techniques les plus sophistiqués, en toute responsabilité et en toute souveraineté. Gloire à nos martyrs. L'auteur est : Ancien étudiant, ancien officier de l'ALN Président de l'association AN/MALG