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« Si le Mouloudia m'était conté » SMAÏL KHABATOU. DOYEN DU FOOTBALL ALGÉRIEN
« J'aimerais mieux être le premier dans ce village que le second à Rome. » Jules César
Khabatou se souvient avec amusement de son premier contact avec le football. Il en parle avec un rire entendu. Il a failli ne jamais pratiquer ce sport qu'il chérit tant. Eh oui ! Yeux vifs, la mémoire rarement prise en défaut, le corps entretenu avec une certaine élégance, il dira aujourd'hui du haut de ses 85 ans, qu'heureusement le sort en a décidé autrement, sinon sa vie aurait pris une autre trajectoire. « Au début des années 1930, je voulais signer une licence à l'OMR comme tous les jeunes du Ruisseau. Malheureusement, à la visite médicale, le docteur a estimé que j'étais trop fragile, donc inapte à jouer au football. C'est la première des réponses que ce sport m'a donné », tranche-t-il. Il en a été malade, mais il ne s'est pas découragé pour autant. « Cela m'a motivé à faire des exercices physiques à la forêt des Arcades, qui surplombe le stade municipal. » Cette façon de faire a payé, puisque la saison suivante, il est passé devant le même médecin qui lui a donné le feu vert, comme si de rien n' était. « C'est comme ça que j'ai fait mon baptême du feu à l'OMR. Trois années après je suis parti au Stade algérois de Belcourt où nous avions remporté le championnat d'Alger. » C'était en 1937. Khabatou fouille nerveusement dans sa paperasse, en sort une vieille photo où il pose avec ses coéquipiers. Assis à gauche, celui qui deviendra un illustre personnage, avec lequel il avait noué une solide amitié. « C'était Roland Dumas qui a été ministre français des Affaires étrangères et avocat de renom. Il avait de grandes qualités humaines et techniques. On s'appréciait et il ne manquait pas de me dire qu'il admirait mon jeu. » De là, Smaïl est parti au Mouloudia pour une longue et excitante carrière parsemée de sélections en équipe d'Afrique du Nord, et celle d'Alger. A 26 ans, il franchit le pas pour embrasser une carrière d'entraîneur. Il retrouve l'OMR dont il devient l'entraîneur attitré. « Une belle revanche sur le sort et sur le médecin qui avait dans un premier temps, essayé de me dissuader. » Ses examens réussis, il monte à Reims pour passer le stage national français du fait qu'il figurait parmi les quatre premiers classés en Algérie. Sur une centaine de candidats, Khabatou décroche la sixième place qui fait de lui l'un des techniciens les plus cotés de l'époque. De retour à Alger, il entraîne le MCA aux côtés de Fouila. S'ensuit une longue série de succès, synonyme de gloire. Le Mouloudia est désormais l'un des clubs les plus enviés. Coupe d'Algérie, championnat et une audience de plus en plus large qui lui permettra, bien après, d'aller taquiner l'Afrique. « Après la coupe du Maghreb, nous avons décidé à Tunis, avec Drif et les autres, d'engager le MCA dans l'aventure africaine en 1976. Nous avions bien visé. » Mais bien avant, Smaïl a eu l'insigne honneur d'être le premier entraîneur national post-indépendance. A son actif, une victoire éclatante sur la RFA (2-0) au stade municipal, qui a valu à l'entraîneur allemand d'être démis de ses fonctions et à l'équipe algérienne, d'entrer déjà, de plain-pied, dans le jardin des grands. Mais c'est indéniablement le Mouloudia qui l'a absorbé, ce club qui coule dans ses veines, au point qu'il ne peut parler foot sans en référer au vieux club algérois, en évoquant les jours heureux, avec un brin de nostalgie. « La vie au Mouloudia, bien que familiale, était très stricte. Nous y avons passé de bons moments dans un environnement agréable où la compétition s'imposait, à nous malgré nous, parce que c'était une lutte Français/Algériens par sport interposé. Un esprit de lutte formidable Il y avait un esprit de lutte formidable qui habitait tous les joueurs, même ceux qui n'étaient pas obligés de se ”défoncer” comme cet Argentin qui évoluait au Mouloudia du nom d'Albor, qui s'est battu de tout son cœur, de tout son corps, pour défendre nos couleurs, contre les clubs européens qui utilisaient tous les moyens pour nous humilier... En effet, comme le notait le regretté Flici, le Mouloudia était victime des arbitres pieds-noirs. Surtout Attanasio, surtout Rivieccio, surtout Cabot, surtout... victimes d'arbitres qui n'étaient jamais au-dessus de tout soupçon. Le Mouloudia, c'est le contraire du Red Star, de l'OHD, du FCB, du Rua et surtout du Galia. L'important, disait-on, c'est que l'on soit classé avant le Galia, avant les enfants de Charlemagne... » La ferveur s'estompe, lorsqu'il s'agit d'aborder les affronts subis par l'équipe actuelle. « Moi j'ai toujours soutenu que le football doit revenir aux footballeurs ». Il faut que le foot soit propre. L'est-il actuellement ? « Non », répond Smaïl, car dit-il, « il y a trop d'argent en jeu. L'argent devient le maître à bord. La valeur sportive ne correspond pas à la valeur marchande. On a tout galvaudé », regrette-t-il. « Lorsqu'on ramène un entraîneur belge pour entraîner l'équipe nationale avec une mensualité de 25 000 euros alors que lui n'est pas formé pour former une sélection nationale, je trouve cela scandaleux. On ne peut élever le niveau de pratique et de connaissance, par l'argent seulement. Nous sommes devenus les derniers de la classe, alors que notre place est parmi les leaders en Afrique. Cela m'amène à dire que le meilleur des jardins ne peut donner que le fruit qu'on a semé. Il faut choisir l'arbre qu'on veut planter. On connaît, sur le visage de l'être humain, les qualités qu'il recèle intérieurement. » Toutes ces métaphores pour éviter de froisser, même s'il en a gros sur le cœur, à telle enseigne qu'il s'est joint à un groupe de protestataires, anciens Mouloudiéens, pas du tout satisfaits de la tournure prise par les événements au sein du club. Khabatou serait-il un élément déstabilisateur ? Il s'en défend. « D'abord, la déstabilisation dont vous parlez n'est pas l'objectif des gens qui ont pris cette initiative et qui, quoi qu'on dise, ont le Mouloudia au cœur. Le problème est que, à partir de certains résultats, de certaines pratiques de gestion, la situation actuelle du MCA ne répond pas au niveau de considération de cette équipe. Cette respectabilité perdue, le vieux club algérois la cherche pour s'ériger parmi les guides du foot national, à l'instar des grands clubs comme Manchester, Real Madrid, le Bayern... C'est en tous les cas le vœu de Khabatou et ses pairs... » Mais peut-on se comparer à ces « mastodontes » du ballon rond lorsqu'on n'a même pas de stade pour s'entraîner ? « Vous mettez le doigt sur un problème fondamental. Le développement d'un club nécessite la mise en place de tous les moyens. Le MCA a les capacités de posséder son propre stade pour que la jeunesse qu'il draine, et Dieu sait qu'elle est importante, puisse s'exprimer dans les meilleures conditions. Il ne faut pas raisonner et travailler comme il y cinquante ans. » Le MCA fonctionnerait-il à la nostalgie ? « Non, répond Smaïl, la nostalgie, c'est pour les gens qui ne sont pas en activité. On ne peut pas vivre sur son passé, qui est un vecteur potentiel qui oblige l'individu à donner tout ce qu'il sait. Aujourd'hui, le foot algérien est pris en otage. Il est dans une orientation qui n'est pas la sienne et qui, de surcroît, n'est pas la bonne... » Pour illustrer cette descente aux enfers, l'exemple mouloudéen est le plus indiqué. Mais l'échec de Abderahmane Mehdaoui, ancien élève de Khabatou au Ruisseau, n'est-il pas aussi l'échec de âmi Smaïl ? La réplique fuse : « Mehdaoui, qui est un brave gars, a travaillé en solo. Il lui a manqué la formation en tant que joueur dans une équipe. C'est cela le grand problème. Parce qu'il avait des connaissances et une formation théorique, il a cru qu'il était possible de diriger une équipe. Or, ce n'est pas suffisant. La pratique est plus importante que la théorie... » Un ADMIRATEUR DE HADJ EL ANKA En dehors du foot, on sait que la musique occupe une place prépondérante dans la vie de Khabatou. Dans la pièce où il nous accueille, trônent des photos de Hadj El Anka. « Je suis un admirateur d'El Hadj. C'était ma jeunesse. Je suis un fils de La Casbah. El Anka était élève de mon père, alors imam de la mosquée Sidi Ramdane. Mon défunt père a décelé chez El Anka des capacités exceptionnelles qui l'ont amené à travailler avec l'imam de Sidi Abderrahmane. C'est comme ça qu'il a appris le Coran. Il a mémorisé toutes les sourate et il connaissait ses chansons par cœur... Moi j'ai grandi avec la musique chaâbie. J'ai touché un peu à la guitare et au piano, mais c'est le chaâbi qui m'a marqué. J'appréciais El Hadj Mrizek, Mouloudéen pure souche, El Hadj Menouer, Marokène... On était en relation constante, du fait que le Mouloudia, club populo, charriait toutes les couches sociales, sans distinction. C'était l'une des forces du foot de l'époque qui cohabitait, avec intelligence, avec la musique. Durant les fêtes familiales, l'empreinte du club était perceptible. C'est pour cela que je persiste à dire que tant que le football ne sera pas repris dans une démarche de groupe, il ne relèvera pas la tête. » Le foot, la musique sont les hobbies de notre vieux jeune interlocuteur. Mais ce serait une grave entorse, de ne pas évoquer l'autre passion de âmi Smaïl : une discipline un peu particulière, en l'occurrence le yoga. « J'ai commencé à le pratiquer à l'âge de 12 ans et je n'ai pas arrêté », avoue-t-il non sans se fendre d'une longue explication philosophique, voire métaphysique, sur les bienfaits de cet art. Adepte de la méditation transcendentale, sa bibliothèque ne désemplit pas d'ouvrages aux titres évocateurs : La guérison ésotérique, Traité sur la magie blanche, Traité sur les sept rayons, les Soufis et l'ésotérisme. Sa propension à s'intéresser à cette science le plonge parfois dans des moments de méditation. « C'est la connaissance du corps, de la vie en société, du chemin de Dieu. Le yoga, c'est sept parties par lesquelles l'homme tente de comprendre son corps, avec une élévation de l'âme », explique-t-il avec assurance. Mais est-il concevable, qu'un homme bardé de diplômes, qui se dit scientifique, puisse verser dans des pratiques pour le moins obscures et qui relèvent de la superstition, comme par exemple « les sept vagues », allusion à l'eau de mer que Khabatou faisait utiliser dans les vestiaires avant les matches. « La seule chose, c'est qu'effectivement on ramenait de l'eau de mer avec laquelle on aspergeait les vestiaires pour évacuer et purifier les lieux. Il n'y a pas autre chose. L'eau de mer est purifiante. Il n'y a pas de rituel, ni de superstition comme on l'a laissé entendre, ici et là », rectifie-t-il. Khabatou en évoquant sa riche et longue carrière n'omet pas de parler de sa parenthèse blidéenne dont il n'a gardé que de bons souvenirs. « A Blida, j'ai vraiment trouvé des dirigeants de compétence qui ont su m'écouter comme le Dr Bachir, un grand monsieur, à l'origine de l'émergence de l'USMB. » C'est avec lui, Benarbia et bien d'autres qu'on a pu faire un excellent travail à Blida avec l'éclosion de joueurs du cru comme Mazouza, Zouraghi, Guerrache, Begga, Sellami et d'autres... Le dernier mot, Khabatou le réserve au Mouloudia éternel qui ne saurait se morfondre dans la médiocrité. Il exhorte tous ceux qui ont le MCA au cœur de redresser la barre et d'amorcer ce sursaut d'orgueil qui, au moins, lavera le club des affronts subis, qui, apparemment, ont fait tant de mal. Parcours Naissance à La Casbah d'Alger en 1920. Commence la pratique sportive à l'OMR en 1933. Signe sa première licence au Stade algérois de Belcourt en 1937. Retourne à l'OMR, en qualité d'entraîneur en chef. Au milieu des années 1940, il est entraîneur du MCA aux côtés de Fouila. Depuis, c'est une longue lune de miel avec le doyen des clubs algériens. A l'indépendance, Smaïl Khabatou est intronisé premier sélectionneur national. A son actif, une brillante victoire sur l'Allemagne (2-0) au stade du 20 Août. Il entraîne l'USMB et d'autres clubs, mais c'est le MCA qui accapare toute sa vie sportive. Il contribue avec Zouba à donner au MCA son premier titre continental en 1976 au détriment de Hafia Conakry. Plusieurs fois directeur technique, Smaïl est considéré comme le doyen des entraîneurs, une caution morale. Khabatou est détenteur de diplômes d'entraîneur de haut niveau acquis à la fin des années 1940, en France.