Certains acteurs de la guerre d'indépendance sont connus par leurs exploits dans les maquis, les fidayine par leur héroïsme au sein de milieux hostiles, mais les hommes de l'ombre sont restés inconnus, parce que réfractaires à toute médiatisation, même la paix revenue et les dangers disparus. Ahmed Abbas est de ceux-là. Son nom demeuré obscur, connu seulement des intimes qui l'ont approché dans une clandestinité qui assura à l'action du FLN en France un grand retentissement et fournit à la capitale algérienne les armes de poing indispensables à la guérilla urbaine. Ahmed Abbas, décédé cette semaine en Allemagne, après une longue maladie, a été inhumé au cimetière d'El Alia. Né à Alger, il milite très tôt au PPA dans les cellules de la Casbah. Suite à la répression du 8 mai 1945, il est interné au camp de Bossuet, où il est l'un des plus jeunes détenus. Après sa libération, il est élu conseiller municipal MTLD de Saint-Eugène (aujourd'hui Bologhine). Aux côtés d'un autre conseiller et plus tard grand militant du FLN, Hocine Mahdaoui, il s'oppose au puissant maire Raymond Laquière, colonialiste notoire et président de l'Assemblée algérienne de l'époque. Durant la Révolution, il rencontre à Madrid Djilali Embarek et Ali Haroun qui s'y trouvaient en mission. Il ne veut pas perdre cette opportunité pour reprendre contact avec le FLN et sa place dans le combat libérateur. Le lien renoué, il est mis en relation avec Omar Boudaoud qui l'utilise aussitôt dans le service logistique de la Fédération de France du FLN qui déjà rayonne sur les pays limitrophes : Espagne, Belgique, Sarre, Suisse, Allemagne. Dans ce dernier pays, Mehdi Mabed, sous les ordres de Boussouf, s'occupe de l'achat d'armement, spécialement armes de poing et explosifs. C'est Nacer Aït Mokhtar, chargé de gérer le contingent réservé à la Fédération, qui va employer Ahmed Abbas pour la réception, le stockage et l'acheminement vers la France. Il fera preuve, malgré la vigilance des services de sécurité allemands, d'une imagination et d'une astuce remarquables. Ainsi durant deux ou trois ans, dans des voitures (et même des caravanes tractées) aménagées et maquillées, des centaines d'armes et des kilos d'explosifs destinés à l'Organisation Spéciale en France et au FLN à Alger, parviennent sans encombre à destination. Ahmed Abbas allait tomber dans les rets de la police allemande, non pour son implication dans les questions d'armes, leur stockage et leur transport, mais pour avoir dirigé un atelier de fabrication de faux billets de banque, destinés à perturber l'économie française1. En compagnie d'autres Allemands, il a été traduit devant le tribunal d'Osnabrück. Les juges persuadés qu'il s'agissait en réalité d'une affaire politique, mais non celle de malfrats et faux-monnayeurs de droit commun, le condamnent à deux ans et ses compagnons à deux ans et demi d'emprisonnement. Telle est rapidement évoquée la vie du frère de combat qui vient de nous quitter. Omar Boudaoud et Ali Haroun (1) Voir Ali Haroun - « La 7e Wilaya » - Casbah Editions -Alger 2006 - pp 332 à 342