Raté l'argument des armes de destruction massive. Reste l'objectif du démantèlement du régime, même si l'objectif Saddam est loupé. La “libération” du peuple irakien, qui suppose un séjour abrégé de la force d'occupation et l'avènement d'institutions démocratiques, est, elle aussi, compromise : les premières manifestations de relève politique irakienne ne présagent pas d'une paisible transition, et les projets de reconstruction sont conçus sur la base d'une présence américaine décisive. La guerre “préventive” n'a pas rencontré les armes qui la justifieraient ; la guerre de libération, qui lui sert de guerre de substitution, reste à légitimer. Le rassemblement de “l'opposition” irakienne se révèle pour le moins laborieux. Les Etats-Unis exhibent un homme d'affaires douteux, au passé marqué par une histoire de corruption et trop intime avec les milieux conservateurs ; un mollah chiite revenu d'Angleterre est assassiné ; Hakim et son armée, réfugiés en Iran, n'oublient pas que Bush leur a refusé de participer à la guerre et montrent leur prudence sur la sincérité américaine en hésitant à participer à la réunion de succession. Au Nord, les Kurdes ne cachent point leur tentation de souveraineté sur le pétrole du Nord et, après avoir délogé les occupants arabes, s'offrent leurs propres souffre-douleur, les Turkmènes. A Bagdad, les scènes de pillage éclipsent pour l'instant les mouvements de règlements de comptes : plus de vingt-cinq blessés en quarante-huit heures. Et on ne voit pas comment avec autant de civils tués et blessés, dont beaucoup ont été touchés après la chute de la ville, l'armée américaine conservera longtemps la sympathie populaire. On ne médiatise pas encore les manifestations d'hostilité qui continuent à chaque enterrement. Les officiers américains semblent avoir tranché sur les méthodes de pacification locale en faisant appel à la collaboration de responsables religieux pour juguler leurs capacités subversives : ils croient prévenir leur hostilité en les sollicitant, oubliant que le discours religieux, quand il est porteur d'une ambition de puissance, a besoin, ici comme chez Bush, de cibler l'ennemi, nécessairement désigné comme force du mal. On est loin de la prétention démocratique de leur libération et l'accueil, pour l'heure favorable, ne prémunit pas de l'hostilité à venir envers des libérateurs transformés en occupants. La formation d'un pouvoir local sera laborieuse du fait de l'hétérogénéité politico-ethnique et parce que l'Amérique a besoin d'un temps de monopole pour distribuer le butin de la “reconstruction”. Ceci retiendra encore longtemps les soldats américains en Irak et, en l'absence d'un pouvoir local visible et souverain, commencera la désillusion libératrice. Et, si rien n'est fait pour les prévenir, de nouvelles épreuves pour les Irakiens. M. H.