Le monde entier célébrera demain la Journée internationale des droits de l'homme. En Algérie, cette commémoration, faut-il le souligner, intervient dans un contexte particulier. Les acteurs et les défenseurs des droits de l'homme ne cachent pas leurs inquiétudes. Sans complaisance, ils ont brossé un tableau peu reluisant de la situation. A Tizi Ouzou, la conférence que devait animer hier Me Ali Yahia Abdenour n'a pas été autorisée par les autorités. Amnesty International qui devait, pour sa part, organiser une exposition photo a également essuyé un refus du wali de Tizi Ouzou. « Des citoyens sont actuellement en prison pour avoir réclamé certains moyens leur permettant d'exercer leur droit à la citoyenneté. Des journalistes et des militants des droits de l'homme se sont retrouvés dans les geôles pour avoir dénoncé des abus de pouvoir et des cas d'injustice », a souligné hier Me Boudjemaâ Ghechir, président de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH). D'autres acteurs ont estimé, par ailleurs, que des freins multiples entravent l'évolution de la situation des droits de l'homme. La sempiternelle question des disparus, la pratique de la torture, l'état d'urgence, la corruption qui continue de gangrener l'appareil judiciaire, les fléaux sociaux, les maladies... sont autant d'éléments qui, selon nos interlocuteurs, « résument la situation des droits de l'homme en Algérie ». « En dépit d'une certaine évolution positive constatée au cours de ces dernières années et malgré les maintes déclarations pour un engagement réel à améliorer la situation des droits de l'homme en Algérie, les autorités n'ont toujours pas entrepris les réformes structurelles ni pris d'autres mesures à même de remédier aux violations », a affirmé Me Ghechir. « Il n'y a pas eu d'évolution en la matière », a-t-il estimé. Bien qu'il ait décelé une « nette amélioration » sur le plan sécuritaire, l'avocat a, par ailleurs, constaté que « la situation des droits de l'homme au sens le plus large du terme, c'est-à-dire du point de vue politique, socioéconomique, a connu une régression », en témoignent, a-t-il dit, « le taux de chômage, la pauvreté, l'exclusion, l'inégalité, les maladies, l'analphabétisme... ». Pour notre interlocuteur, la question des droits de l'homme et des libertés est un système de valeurs universel. Ce système doit, selon lui, se traduire par des lois. De son avis, l'Etat de droit n'est pas pour demain. « L'édification d'un Etat de droit commence par la mise en place d'institutions fiables et solides et d'une justice efficace et indépendante ». Pour appuyer ses dires, l'avocat a énuméré les facteurs qui entravent la mise en place d'un véritable Etat de droit. « Les juges travaillent dans un environnement fait de contraintes et de pressions internes et externes. Le ministre de la Justice donne des directives pour expédier les affaires au détriment de l'équité dans les jugements, sans compter la corruption à grande échelle qui se pratique au niveau de l'appareil judiciaire. » D'après lui, la première mission de l'appareil judiciaire est de « rendre justice et non pas de rendre des jugements ». En ce sens, Me Ghechir ne se fait pas d'illusions : « La justice est incapable d'assumer sa mission première, à savoir la protection des droits de l'homme et des libertés. » Abordant la question de « la réconciliation globale » prônée par le président Bouteflika, notre interlocuteur s'est interrogé sur la signification exacte et le contenu de ce concept qui, selon lui, s'apparente beaucoup plus à un état d'esprit. « La réconciliation est-elle un moyen ou une fin en soi ? », s'est-il demandé. Elle devra, a-t-il précisé, « être le couronnement d'un processus, d'une démarche, et sa concrétisation passe par le rétablissement de la vérité ». Me Ghechir a déclaré ne pas faire uniquement allusion au problème des disparus. Les Algériens, selon lui, sont en droit de connaître la vérité sur tout ce qui s'est passé depuis 1992 à ce jour, notamment les viols, les abus de pouvoir, la répression, la torture, la violation des droits de l'homme... Pour ce faire, suggère notre interlocuteur, les auteurs et les commanditaires de tels actes doivent être traduits devant la justice. « Par la suite, le Président pourrait exécuter sa vision des choses sur la base, bien entendu, d'une équité qui est le fait de reconnaître aux victimes le statut qui est le leur ». A propos de la sempiternelle question de l'état d'urgence, l'avocat est on ne peut plus tranchant : « On doit lever cette contrainte parce qu'elle n'a plus raison d'être. » Pour lui, « la seule explication à même de justifier le maintien de cette mesure d'exception est le fait que certains clans veulent la faire durer pour continuer de profiter de leurs privilèges ».