L'Algérie est en quête d'une définition conceptuelle de « l'intelligence économique ». Hier, Abdelhamid Temmar, ministre de l'Industrie et de la Promotion des investissements, a invité les participants au colloque international sur « La gouvernance des institutions et l'intelligence économique », organisé par l'Université de la formation continue (UFC) à l'hôtel Sheraton-Club des pins, à faire des propositions pour mieux cerner ce concept. Il a rappelé que la stratégie industrielle, élaborée par le gouvernement en 2007, est « la première incitation institutionnelle » à l'intelligence économique (IE) qui, pour le ministre, n'est pas une discipline mais une politique publique. « Il lui est assigné un rôle large et fixé pour principales missions de coordonner les stratégies sectorielles, de rassembler les données pour aider à détecter les opportunités et les menaces, mesurer les influences et tracer in fine une ligne transversale d'informations stratégiques », a-t-il précisé. Selon lui, la capacité à accéder et à gérer le savoir et l'information fait la différence entre les entreprises. L'intelligence économique est, à ses yeux, la principale démarche à garantir la défense et la protection du potentiel de l'entreprise : augmentation des capacités et accroissement des parts de marchés. « Nous avons l'économie la plus ouverte au monde. Le niveau des barrières douanières est le plus bas de la région du Maghreb. L'entreprise algérienne fait face à une rude concurrence (....) Nos PME sont incapables de mutualiser leurs besoins et leurs moyens en matière d'acquisition et de traitement de l'information », a relevé Abdelhamid Temmar. transformer les informations en savoir Il a proposé la création d'un haut comité de prospective et de sécurité économiques à rattacher à la présidence de la République et composé d'universitaires, de dirigeants d'entreprises, de représentants des secteurs économiques. Il devrait, entre autres, s'assurer de la cohérence des actions menées par les différents ministères en matière économique, de procéder à leur évaluation et se prononcer sur l'adéquation des moyens affectés à ces actions. Ce comité aura, selon lui, à doter l'économie du pays de moyens de défense et d'anticipation dans la compétition économique internationale. Il a rappelé avoir créé au niveau de son département une direction générale chargée de l'intelligence économique et de « la veille stratégique ». Il a suggéré la nomination, auprès des services du chef du gouvernement, d'un haut responsable chargé de la coordination des activités d'intelligence économique, à l'image de ce qui existe en France, et la création d'unités-relais de IE au niveau des ministères et des associations patronales. Ces mesures n'ont pas encore été prises par le gouvernement. L'efficacité des entreprises dépend, selon Rachid Harraoubia, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, de la capacité à collecter, traiter et organiser les informations en les transformant en savoir. Il est impératif, d'après lui, de renforcer « la culture de l'intelligence économique » à travers l'organisation de formations orientées vers la planification et la gestion des systèmes d'information. Abdeljebar Lemnouar, recteur de l'UFC d'Alger, a annoncé la sortie de la première promotion de post-graduation spécialisée en intelligence économique, composée d'une quarantaine de cadres d'entreprises. « La prochaine promotion sera lancée en octobre 2008 en collaboration avec une université française », a-t-il déclaré à la presse. Le but ? « S'adapter aux exigences de l'économie du savoir », a précisé M. Harraoubia. Alain Juillet, haut responsable en charge de l'intelligence économique auprès du Premier ministre français, a, lui, estimé que l'influence et le lobbying dans les institutions internationales sont importants pour anticiper les décisions. Selon lui, le nombre des lobbyistes des Etats-Unis auprès de la Commission européenne à Bruxelles dépasse celui de l'ensemble des pays européens. « La Grande-Bretagne possède cinq fois plus de lobbyistes que la France à Bruxelles. Nous sommes désavantagés dans les négociations », a-t-il constaté. « L'intelligence économique n'a pas pour but de déséquilibrer les échanges, mais de s'assurer que tout le monde est au même niveau. Et que le meilleur gagne », a-t-il appuyé. « la culture d'usine » Il a précisé qu'il existe deux groupes permanents d'intelligence économique en France : l'un agit comme « un système d'alerte » informant les hauts responsables du pays (dirigé par Alain Juillet) et l'autre s'occupe de suivre les entreprises sensibles pour « les aider à être plus efficaces » à l'extérieur. « On peut travailler en réseau en matière d'intelligence économique. On peut échanger avec des pays amis des informations ou partager des enquêtes », a-t-il expliqué. Selon lui, l'intelligence économique jouera dans les 5 prochaines années le rôle qu'a assumé le marketing durant les 50 dernières années. « Puisque tout le monde fabrique de bons produits et maîtrise le marché, la différence sera faite par la connaissance et l'anticipation », a expliqué Alain Juillet. En Algérie, d'après Mohamed Bahloul, directeur de l'Institut de développement des ressources humaines (IDRH), on ne décide pas parce qu'on manque d'information. « L'Algérie peut être perçue comme une société où les organisations sont sous- informées, sous-analysées (...) La source de l'immobilisme provient du fait que l'on ne décide pas. Le manque d'anticipation inhibe les acteurs économiques », a-t-il relevé. Il a cité l'exemple des banques algériennes qui ne se sont dotées d'un service d'analyse-risque que récemment. « Je ne connais pas encore de banques algériennes qui recrutent des économistes analystes pouvant élaborer des stratégies », a-t-il noté. Il a regretté que certains opérateurs économiques sont plus mus par « une culture d'usine » que par « une culture d'entreprise ». Faute de prévisions, les grandes entreprises algériennes vont, selon Mohamed Bahloul, connaître une crise de relève. « On n'a pas pensé à remplacer les cadres qui vont aller en retraite », a-t-il constaté.