Participant aux premiers Entretiens de la Méditerranée des entreprises et réseaux professionnels à Barcelone les 12 et 13 juin à l'initiative des instituts français IPMed et espagnol IEMed, Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque centrale d'Algérie et président d'IM Bank, analyse le projet d'Union pour la Méditerranée d'un point de vue économique. Vous avez affirmé que les pays du Sud n'ont pas besoin de moyens financiers pour la réalisation de projets de développement... Effectivement, les pays du sud de la Méditerranée ont plus besoin de mise à niveau, de technologie que de moyens financiers. D'une étude que nous avons réalisée à la demande du PNUD en 1996, nous avons découvert que le stock d'argent des Maghrébins était de 100 milliards d'euros, dont 50% revenant à des Algériens, 30% à des Marocains et 20% à des Tunisiens. Quant au flux de cet argent, il est majoritairement du Sud vers le Nord, ce qui veut dire que nous sommes des exportateurs nets de capitaux, dans une proportion de 4 à 7 milliards d'euros nets par an. Soit plus que le mouvement inverse. C'est de la fuite de capitaux ? Le vocable d'« argent migrant » recouvre de tout : épargne des travailleurs, capitaux exportés… D'une manière générale, on mesure la stabilité ou les perspectives d'avenir d'un pays à travers le flux d'argent. Par exemple, depuis quelque temps, les Tunisiens font fuir de plus en plus d'argent, cela veut dire qu'ils n'ont pas confiance dans l'avenir de leur pays. Cela a été vrai pour le Maroc, cela l'est un peu moins actuellement. C'est vrai en Algérie depuis toujours. Qu'est-ce qui pourrait inciter les détenteurs de ces capitaux à les rapatrier dans leurs pays d'origine ? Le problème ne doit pas être posé tel que le font les Européens quand ils prétendent que les pays du Sud sont demandeurs de moyens financiers. Tous les pays du Sud confondus ont de l'argent. Ils ont besoin de donner d'eux-mêmes une image stable, plus rassurante qui permette à cet argent de revenir. On a fait des enquêtes approfondies auprès de détenteurs de cet argent, il en ressort qu'ils ne demandent qu'à investir chez eux. Certains ont besoin de s'abriter sous une couverture européenne, d'autres attendent que les conditions, pour ce faire, soient réunies. La stabilité politique et les règles juridiques sont fondamentales. Il y a ce que les financiers appellent le triple A, le double A, soit la qualité de signature, ce dont on a le plus besoin en Algérie, c'est deux A, soit la capacité d'anticipation et la capacité d'arbitrage. C'est valable aussi pour les autres pays du Maghreb ? C'est valable pour les trois pays, mais encore plus pour l'Algérie. Quels sont les domaines et les secteurs d'activité où l'Algérie a le plus besoin de la mise à niveau à laquelle vous avez fait référence ? Comment définir la règle de priorité ? Les priorités ? C'est très compliqué. C'est la culture d'entreprise au sens large, de fonctionnement de l'environnement technico-économique qui pose problème. Les plus grandes difficultés que nous allons avoir en Algérie, c'est de moderniser le mode de fonctionnement de nos élites. En Algérie, il y a de bonnes élites qui ont déjà été exclues, et celles qu'on a gardées ont été enfermées dans un système où elles n'ont plus pu dialoguer avec le reste du monde, c'est-à-dire se mettre à niveau en permanence par rapport à ce qui se fait dans le reste du monde. Il n'y a pas de renouvellement des élites, non plus. S'il y a une urgence, c'est la mise en confrontation des connaissances et des compétences, il ne faut pas en avoir peur. Aujourd'hui si nous voulons éviter la recolonisation, il faut aller vers une certaine forme de mise à niveau internationale, de mise en relation avec le privé international, y compris l'université, les hôpitaux… Les pays voisins de l'Algérie semblent engagés dans cette démarche et en Algérie on commence à l'entrevoir ? Tous les pays le font. Il faut qu'on le fasse de manière beaucoup plus volontariste en Algérie. Il faut donner aux diplômés algériens de vrais diplômes internationaux ; quand ils sont à l'aise avec des diplômes à validité internationale, ils resteront davantage dans leur pays. Il y a une règle de base qu'on doit instituer en Algérie, qui est la préférence au travail national, plus que la préférence aux entreprises nationales. C'est une réflexion stratégique qu'il faut mener. L'urgence en Algérie est-elle d'inaugurer une autoroute ou d'être capable de reproduire l'autoroute et de la gérer ? Le projet d'Union pour la Méditerranée vous semble-t-il bien posé en termes économiques ? Il n'y a pas eu de réflexion économique et technique préalable à ce sujet. Il y a, à mon avis, une intuition forte qui est que l'Europe, pour continuer à être une puissance régionale face à la Chine et aux Amériques, a impérativement besoin d'une arrière-région puissante et complémentaire, pourvoyeuse d'énergie et de main-d'œuvre. D'union de la Méditerranée, on a glissé vers l'union pour la Méditerranée. Union pour la Méditerranée des Européens ? Ou union de l'ensemble des pays pour la Méditerranée, ce qui est un positionnement paritaire. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Les Arabes commencent à se réveiller négativement, avec un double discours : nous mettre d'accord avant d'y aller, et d'autre part, chacun essayant de tirer son épingle du jeu. Dans ce cadre-là, il ne peut pas y avoir de projet technique concerté, c'est pourquoi des institutions de la société civile comme IPMed ou IEMed essaient de combler le vide en présentant des projets, mais ce sont des projets issus de réflexions technocratiques d'individus et non pas d'institutions étatiques. Ce glissement d'union méditerranéenne vers l'Union pour la Méditerranée expliquerait-il les réserves d'un pays comme l'Algérie ? En théorie, quand un projet est lancé il ne faut jamais laisser le train partir. C'est plus facile de modifier sa trajectoire quand on est dedans. Ceci étant, je ne connais pas les réserves de l'Algérie, toutefois il y a des réserves techniques qui sont évidentes. Puisqu'on parle de parité, pourquoi ne pas définir un objectif stratégique commun, le reste deviendra secondaire.