L'été venant, la chaleur semble avoir de l'effet sur les langues qui se délient tour à tour pour relancer le projet de révision constitutionnelle. Le président de l'Assemblée nationale, Abdelaziz Ziari, et le chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem, sont formels, la révision aura lieu et se fera par la voie parlementaire. Ziari ira jusqu'à dire que l'annonce officielle de cette révision est pour bientôt. Ledit projet semble donc prendre son chemin vers la concrétisation, loin du débat et de la concertation. Si les voix en faveur d'une révision de la loi fondamentale s'égosillent pour préparer la scène politique à une échéance jusque-là incertaine, les voix discordantes demeurent attachées au respect de la légalité et de la démocratie. Parmi ces voix, le Front des forces socialistes qui persiste dans la critique de cette démarche « visant le maintien des intérêts du pouvoir. C'est la gestion de la crise au lieu de son règlement », note le premier secrétaire du plus vieux parti de l'opposition, Karim Tabbou. Ce dernier remarque tout d'abord que « la Constitution est une affaire trop sérieuse relevant des prérogatives des détenteurs du pouvoir réel qui ne sont ni au parlement ni au gouvernement et qui visent le maintien des équilibres et des intérêts au pouvoir ». Notre interlocuteur indique que « dans les conditions actuelles, réviser ou ne pas réviser la Constitution n'est pas de nature à redonner espoir à la population ni enclencher une vraie dynamique politique, car cette énième constitution ne sera pas l'émanation de la volonté populaire ». Le même responsable politique précise, en outre, au sujet du choix du parlement comme voie de révision, qu'« une Constitution qui passe par un parlement illégitime ou par un référendum imposé, le procédé est le même et la finalité aussi, puisque la volonté populaire n'est pas respectée dans les deux cas ». Karim Tabbou estime que le parlement actuel « est pris au piège par les intérêts personnels et les intérêts du système par le fait qu'il y a menace de dissolution qui pèse sur l'assemblée et qui figure dans les prérogatives du Président. Le résultat est donc connu d'avance. C'est ce fonctionnement antidémocratique des institutions qui rend caduc tout projet de révision de la Constitution », note notre interlocuteur en enregistrant que « nous sommes dans un pays où la société a pris une direction et le pouvoir en a pris une autre ».Le même constat est établi par le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). « Belkhadem peut appeler à une révision de la Constitution, mais une seule chose pour laquelle il risque de se tromper, c'est que la situation socioéconomique du peuple qui est délétère fait que le pouvoir est dans un rayon et le peuple dans un autre », souligne Mohamed Khendek, chargé de communication du RCD. Tout en affirmant que le RCD maintient son opposition au projet de révision de la Constitution et à un troisième mandat pour Bouteflika, notre interlocuteur estime : « Que ce soit le président de l'APN ou le secrétaire général du FLN, qui est aussi chef du gouvernement, ils peuvent remplir l'espace libre qu'ils ont créé autour d'eux depuis qu'ils ont annoncé qu'il va y avoir une révision de la Constitution et que le principal concerné n'en souffle mot. C'est une manière pour le FLN d'orienter sa base vers cette question en occultant les véritables problèmes existant en son sein. » M. Khendek indique que le RCD ne prend pas acte des propos du président de l'assemblée, « car l'APN est malheureusement aujourd'hui loin de sa prérogative assignée par la Constitution qui est de remplir son rôle législatif et de contrôleur de toutes les institutions de l'Etat ». Outre les formations politiques, le projet de révision de la Constitution a rencontré la désapprobation de nombreux représentants de la société civile, dont certains se sont exprimés à travers l'Initiative civique pour le respect de la Constitution. L'un des initiateurs de l'appel pour le respect de la Constitution, El Kadi Ihssan en l'occurrence, estime que le projet de révision a déjà échoué puisque le plébiscite populaire tant réclamé par le premier concerné par ce projet n'est point au rendez-vous. « La déclaration de Belkhadem prouve que le projet n'a pas été abandonné, mais que la conjoncture politique l'a empêché d'aboutir. On nous avait annoncé un référendum au printemps pour conclure une campagne menée tambour battant, mais il s'avère que cette campagne éclair a été chamboulée par une conjoncture politique caractérisée par une très forte contestation sociale qui s'était traduite par des émeutes et une indisposition générale de la société à parler de cette révision », constate El Kadi Ihssan. Ce dernier considère que la conséquence de ce retard a fait que les initiateurs du projet de révision ont pensé à un « plan B » consistant à revoir le procédé de révision, mais sans toucher au contenu. Le fait de choisir le recours au parlement, estime notre interlocuteur, « est déjà une victoire de la force d'inertie de la société qui a refusé de suivre le projet de révision ». M. El Kadi relève encore que « c'est déjà un immense échec du projet de révision, ce plan B a déjà atteint en profondeur le projet présidentiel », dit-il en annonçant qu'une nouvelle initiative du Comité pour le respect de la Constitution se fera jour en septembre prochain.