Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan s'est lancé une nouvelle fois dans un marathon diplomatique quelques jours à peine avant la tenue du sommet européen, qui doit cette fois dire avec une extrême précision ce qu'il pense de la relation future avec la Turquie. L'on ne dira pas que certains chefs d'Etat européens louvoient, mais c'est tout comme en renvoyant au fameux consensus européen, ou à leurs opinions respectives rarement consultées sur l'élargissement de l'Europe. Pire que cela, la question de l'adhésion de la Turquie pourrait être tranchée rapidement, mais les Européens entendent se donner le temps, certainement pas pour convaincre les opinions en question, mais pour bloquer une telle perspective. Il est en effet presque sûr que les Européens en l'état actuel voteraient contre une telle adhésion. Un travail de proximité a été mené par les courants hostiles à cette perspective, y compris là où paradoxalement le discours semble le plus favorable. C'est ce qui explique le forcing du Premier ministre turc. M. Erdogan a exprimé samedi dernier son étonnement face à l'attitude hostile d'une partie de la classe politique française quant à l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne, tout en affirmant faire confiance au président français Jacques Chirac. Rappelant que la France était le premier investisseur étranger en Turquie et que la culture française, notamment la Révolution française, avait eu une influence prépondérante sur son pays depuis la fin de l'empire ottoman, M. Erdogan a affirmé qu'il « ne s'attendait pas à l'attitude française ». « J'ai l'espoir que la France changera d'attitude », a-t-il ajouté devant un panel d'hommes d'affaires réunis à Istanbul par la chambre de commerce franco-turque. Alors que les dirigeants européens doivent décider, lors d'un sommet les 16 et 17 décembre à Bruxelles, d'ouvrir ou non des négociations d'adhésion avec la Turquie, une majorité de la classe politique et de l'opinion publique françaises a exprimé son opposition à ce projet. Le président Chirac a quant lui soutenu le projet d'organisation d'un référendum national sur l'adhésion de la Turquie et défend l'inclusion d'une clause sur le caractère ouvert des négociations, dont le lancement ne devrait pas garantir l'adhésion finale d'Ankara. « On écrit dans la presse : M. Chirac a dit ceci ou cela. Mais tant que je ne l'aurai pas entendu de mes propres oreilles, je ne voudrai pas le croire. Ce sera ma position jusqu'à jeudi », date du début du sommet de Bruxelles, a commenté M. Erdogan. Le Premier ministre turc a, par ailleurs, laissé entendre qu'il ne s'opposerait pas à un lancement des négociations au cours du deuxième semestre 2005, une position soutenue par M. Chirac, même si Ankara a toujours défendu une ouverture prompte des pourparlers, début 2005. « Nous souhaitons que les négociations débutent au premier semestre 2005. Si (une date est fixée) au second semestre, nous mettrons ce temps à profit pour nous préparer sérieusement », a-t-il affirmé. Rappelons qu'au mois d'octobre dernier, la Commission européenne avait répondu par un « oui, mais... » à la demande turque au sujet de laquelle les partisans du rejet ont évoqué toutes les raisons possibles, mais rarement acceptables, car selon les spécialistes, elles éludent l'essentiel, c'est-à-dire que la Turquie, si jamais elle venait à intégrer l'UE, en deviendra un pôle majeur. Et rien d'autre.