Parmi les responsables politiques italiens qui se sont attachés depuis des années à asseoir un partenariat privilégié avec l'Algérie, le sénateur Rino Serri. Vous avez œuvré à la consolidation de la coopération italo-algérienne durant le gouvernement de gauche. Pensez-vous que ce partenariat connaît, avec l'actuel gouvernement, un certain ralentissement si l'on en juge par le désengagement italien dans la construction du deuxième gazoduc ? Honnêtement, je ne crois pas que le changement de majorité politique en Italie puisse avoir comme conséquence un choix politique différent en matière de coopération. Le ministre Frattini lui-même, avant, et le président de notre Association pour l'amitié italo-algérienne, Gianni di Michelis, qui fait partie de la majorité, soutiennent la nécessité d'avoir des rapports privilégiés avec l'Algérie. Mais je dois dire que, personnellement, il est vrai que je ne suis pas satisfait du cours des choses. Je voudrais qu'on fasse beaucoup plus, mais en vérité, je n'étais pas tout à fait satisfait à l'époque, durant les gouvernements auxquels j'ai fait partie. Cela dit, je crois qu'on doit travailler pour intensifier ces relations. En compagnie du président de l'Association d'amitié italo-algérienne, nous avons été récemment en Algérie et nous avons pu rencontrer le chef du gouvernement, les ministres des Finances et des Travaux publics. Il y a énormément de choses qu'on peut faire avec l'Algérie dans le domaine du gaz, du développement des PME, de la construction de l'autoroute Est-Ouest, de la modernisation des structures portuaires, des grandes autoroutes de la mer, qui doivent passer du Nord au Sud entre les deux rives. Je reste convaincu que l'Algérie est un choix stratégique pour l'Italie. Je crois que ce gouvernement, même avec une majorité différente du centre-gauche, doit maintenir et renforcer ce choix. Vous suivez de près l'évolution de la situation politique en Algérie. Pensez-vous que le processus démocratique avance à un rythme convenable ? Franchement, je pense que oui, car ce processus, qui présente certainement des limites et des difficultés, est survenu dans un contexte de lutte contre le terrorisme qui pouvait même justifier une régression antidémocratique. Je pars du point de vue que l'Algérie a dû combattre l'action des terroristes et des extrémistes dans des conditions difficiles, parfois sans la pleine compréhension internationale, qui aurait été nécessaire, mais cela n'a pas engendré une régression antidémocratique. Je n'entends pas affirmer, cependant, que l'Algérie a fait des pas énormes en avant, mais primo, elle n'en a pas fait vers l'arrière et, secundo, elle en a fait quelques-uns vers l'avant. J'étais convaincu, a priori, du succès certain aux dernières élections de Bouteflika. Parce que les Algériens, même s'ils étaient conscients de certaines limites, voulaient s'assurer qu'on allait poursuivre sur le même chemin. C'est un vote qui signifiait « accomplissons la lutte contre le terrorisme et avançons sur le chemin démocratique avec prudence ». Le peuple algérien donc, au-delà du taux des électeurs favorables au Président, a opté pour un choix clair. L'élargissement de l'Union européenne aux pays de l'Est risque-t-il de pousser les pays du nord de la Méditerranée à se détourner de ceux du Sud ? C'est un danger réel effectivement, et je crois qu'il faudra le combattre par tous les moyens. Non seulement parce que l'Italie est un pays naturellement orienté vers la région du Sud, mais parce que je suis profondément convaincu qu'une Europe sans l'âme de la civilisation qui s'est développée en Méditerranée au cours des millénaires, cette Europe n'a pas de raison d'exister. Si Umberto Bossi (leader de la Ligue du Nord) peut penser qu'il y a, au Nord, des « luminosités civilisationnelles », ignorons cela. Le vrai berceau de la civilisation occidentale, si on veut utiliser ce terme, est sur les rives de cette mer, qu'elle soit au nord ou au sud, et donc une Europe qui naît sans avoir comme point focal la Méditerranée du Nord et celle du Sud serait une Europe mutilée. Cela pourrait être une Europe dotée d'un potentiel économique, mais ce serait une Europe qui n'aura ni une fonction culturelle ni une fonction politique. Avec la menace terroriste, que l'Occident découvre effaré, on assiste à la montée d'une campagne d'islamophobie en Europe, en général, en Italie, en particulier. Comment exorciser cette hantise, selon vous ? Je crois qu'un pareil danger existe réellement. Il y a le risque de confondre la lutte contre le terrorisme avec une bataille, comme quelqu'un qui a écrit : un choc de civilisations, une lutte du christianisme contre l'islam et de l'Occident contre l'Orient. Je crois que ce risque existe. Je crois qu'en Italie il y a des conditions particulières, positives, pour neutraliser et combattre ce danger. Il n'est pas fortuit que la Ligue du Nord, qui représente l'un des porteurs de cette idéologie raciste, soit une petite minorité dans une région du pays. C'est vrai qu'elle est, malheureusement, au gouvernement aussi. Mais je crois que l'opinion publique italienne a, dans sa grande majorité, un sens de l'ouverture, de l'accueil et du dialogue avec d'autres cultures, religions et civilisations. C'est dans la nature de ce pays, dans le mode avec lequel il est né, historiquement, au cours des millénaires. Je ne crois pas qu'il peut devenir une espèce de tour verrouillée. Bien sûr, il faut prendre conscience de ces dangers et les combattre avec détermination, avant qu'ils ne s'enracinent.