A quelque chose malheur est bon ! Le changement sémantique qui a fait beaucoup de conciliabules entre Européens : une union pour et non une union tout court a ainsi du bon pour aborder avec plus de sérieux cette idée de ce que pourrait être un « codéveloppement » de la région frontière du sud de l'Europe ! Un projet entre des pays du Nord riches, à démographie maîtrisée et à population vieillissante, et des pays du Sud pauvres (sous-développés) à progression démographique encore très rapide avec des populations en grande majorité composées de jeunes. Il est également heureux que les visées majeures de ce projet de développement soient fondées, selon les déclarations des initiateurs, sur des « projets communs » à élaborer entre le Sud et le Nord, en coordination, et des projets de développement qui engagent des institutions étatiques et non pas seulement qui résulteraient des seules vertus spontanées du marché (zones de libre-échange). Si cette configuration de l'UPM est respectée dans les prochaines années, à savoir des projets élaborés en commun et dont la mise en œuvre relèvera de la responsabilité motrice d'interventions publiques, alors, on pourrait dire qu'il s'agit d'une idée nouvelle pour promouvoir les relations de bon voisinage et la coopération entre deux sous-ensembles régionaux de notre planète très inégalement développés. Sinon, le processus de Barcelone de 1995, initié à la suite de l'espoir, vite déçu, de la paix israélo-palestinienne d'Oslo, (facteur qui, bien évidemment, ne nous illusionne pas, conditionne encore tout nouveau projet de développement de cette région ex « centre du monde », cette déclaration de Barcelone contient en elle-même l'essentiel d'un programme de codéveloppement entre les pays européens et les pays de la rive sud de la Méditerranée. Barcelone 1995 ambitionnait en effet de faire de la mer commune un lac de prospérité partagée, soutenu par une maîtrise des flux migratoires (donc soutenu par une large promotion de la création des emplois au Nord comme au Sud de la mer), des échanges culturels intenses, l'ensemble de ces visées étant rendu possible par la sécurité collective à garantir à la région.Le paradigme dessiné par la déclaration de Barcelone est tellement beau qu'il n'y a vraiment rien à ajouter. Dans les faits, les tendances de ces dernières décennies des relations économiques, sociales et politiques entre les deux rives de la mer, ont suivi leur schéma antérieur. Au plan économique, c'est le schéma de « l'échange inégal » entre le Sud et le Nord qui se poursuit, sans que la responsabilité des gouvernants du Sud comme ceux du Nord en change réellement le cours, malgré les indépendances. Le Nord continue à chercher, à puiser au Sud les matières premières minérales (ou beaucoup moins, des produits agricoles), et à trouver des débouchés pour les industries du Nord. Jusqu'à la révolution technologique des années 1970 qui a chassé l'emploi de l'industrie (comme de tout processus de la production de biens et services en général), réduisant considérablement le besoin en main- d'œuvre, surtout de main-d'œuvre non spécialisée, le Sud qui rééquilibrait tant bien que mal ses échanges avec le Nord en y envoyant ses surplus de population dans la force de l'âge pour y travailler, s'est vu fermer cette possibilité dès la fin des années 1970. Ceci a aggravé le chômage de masse dans des économies du Sud plus ou moins déprimées, en tout cas incapables, par manque de capitaux mais surtout de savoir-faire, de faire face à la croissance démographique non encore maîtrisée (les pays du Maghreb entrant néanmoins durant ces dernières décennies à la faveur de l'urbanisation, mais surtout de la scolarisation des filles dans la phase de la « stabilité démographique » ; mais les emplois à créer pour stabiliser le chômage actuel sont toujours considérables ; rien que pour les 3 pays de l'ancienne Afrique du Nord « française », il faudrait créer plus de 1 million d'emplois supplémentaires annuellement pour juste stabiliser le taux actuel de chômage. Faute de quoi, les jeunes désespérés de la Méditerranée ou du sud du Sahara n'hésitent pas à affronter de plus en plus nombreux la mer ou le désert pour tenter de joindre l'eldorado européen... ). S'éloignant du paradigme de « lac de prospérité partagée », les écarts de revenus moyens entre les riches et les pauvres ont continué à se creuser avec comme impact immédiat l'accentuation de la poussée des migrants Sud-Nord. Les préoccupations des dirigeants autant du Nord que du Sud se focalisant et cherchant à faire face ou à estomper les effets faute de pouvoir lutter collectivement sur les causes de cette massive poussée de migrants économiques à la recherche de moyens de survie. Ce n'est pourtant pas faute d'avertissements ; un exemple : le président de la Commission européenne, Jacques Delors, prédisait à la fin des années 1980 que « les boat people viendront dorénavant du Sud de la Méditerranée ». Autre avertissement relatif au même phénomène à l'échelle mondiale, Peter Drucker, spécialiste américain en management, écrivait que vouloir lutter contre ces poussées de migrants économiques venant d'un Sud surpeuplé de jeunes pour atteindre un Nord riche avec des populations vieillissantes, c'était comme vouloir lutter contre la gravitation universelle ! Il convient également pour ne pas renouveler Ies errements anciens de tenir pleinement compte de la dimension quantitative lorsqu'il s'agira de confectionner les « projets communs » de codéveloppement de la Méditerranée, afin que l'idée puisse gagner en crédibilité ; et au-delà pour que la mise en œuvre de l'UPM puisse pouvoir infléchir les mauvaises tendances actuelles dominantes d'une région qui s'appauvrit, rongée par la guerre, l'insécurité et la forte dégradation du patrimoine naturel comme du patrimoine culturel de cet « ancien centre du monde » et berceau de brillantes civilisations. Tout ce qui ne prépare guère la région à la « mondialisation » en cours. L'ampleur des défis est telle qu'il convient par ailleurs de faire la chasse et bannir les projets à dose « homéopathique », qui peuvent faire illusion (comme cela arrive trop souvent en matière de projets de développement), au prétexte que ce sont les petites rivières qui font les grands fleuves, si on cherche réellement à infléchir ces lourdes tendances négatives actuelles, et non pas s'arrêter à faire des « annonces » politiques ! Les actuelles ou récentes « disputes » ou compétition pour exercer la présidence de l'union pour la Méditerranée ou pour y accueillir son secrétariat ne passionnent guère Ies foules. Il serait pourtant utile sinon de mobiliser les peuples pour la réussite de ce mythe d'un « lac de prospérité partagé », du moins d'intéresser les jeunes générations à cette perspective d'une action d'intérêt général mue sur une longue période par plusieurs gouvernants agissant en concertation, à commencer par l'espoir de la création des emplois et d'une myriade d'entreprises, à hauteur de la demande en travail et revenus qu'un tel « projet pour la Méditerranée » est susceptible d'engendrer. La dépollution de la Méditerranée offre sérieusement cette perspective d'offrir les soubassements d'une nouvelle économie capable précisément de créer des millions de postes de travail pour les jeunes méditerranéens. Pour illustrer ce propos, citons les travaux d'un chercheur – N.J Brehon- directeur de recherche à l'EDHEC, qui milite pour nettoyer cette immense poubelle qu'est devenue la Méditerranée. « La Méditerranée est une mer martyre, écrit-il, avec 300 millions de tonnes de déchets gisant au fond, 60% des eaux usées sans traitement, 60 000 tonnes de pétrole de plus chaque année par les déballastages de pétroliers, des pénuries d'eau aggravées par le tourisme de masse. Il faudrait équiper 600 villes du rivage de stations d'épuration... ! (fournir de l'eau aux 100 millions en grande pénurie... en tout la dépense totale annuelle est estimée à 30 milliards d'euros par an... » (Le Monde de l'économie du 3 juillet 2007). Ce projet de dépollution pourrait effectivement redonner vie à la Méditerranée pour effectivement viser à en faire « la plus propre du monde ». D'autres grands projets existent, souvent enfouis dans les tiroirs depuis des décennies ou qui restent inachevés tels que le « Barrage vert » ambitionnant de stopper l'avancée du Sahara, injustement moqué et rapidement traité d'utopique... Le regain de l'écologie dans les opinions publiques et auprès des décideurs rend d'actualité ces grands projets de réhabilitation du patrimoine naturel et en même temps justifie la nécessité de politiques de promotion des emplois sur une grande échelle, c'est-à-dire à la hauteur des immenses besoins en travail (il serait sans doute utile qu'un nouveau programme mondial pour l'emploi puisse être élaboré.. ).Encore faut-il vouloir orienter délibérément les politiques économiques autour de ces deux priorités : l'emploi et l'écologie. Puisse l'UPM concrétiser cette volonté. Si on veut on peut, disait la sagesse des nations... ! Mahmoud Ourabah(*) (*) Ancien planificateur du développement, ancien fonctionnaire du BlT