Apparue certainement au début de l'hiver dans les abris et serres de la bande côtière qui s'étend entre Stidia et Aachaâcha, cette mineuse spécifique des solanacées, la grande famille de la tomate à laquelle appartiennent également la pomme de terre et l'aubergine, a été la cause de la destruction spectaculaire des cultures de tomates. Chez les agriculteurs de la région spécialisés dans cette culture, les premières réactions sont naturellement orientées vers la lutte chimique à outrance. Ce qui fait le bonheur des marchands de produits phytosanitaires qui écoulent sans vergogne la quasi-totalité des insecticides disponibles sur les étalages. Il est vrai que lors des premières attaques, les services en charge de la surveillance des cultures ainsi que les chercheurs ont brillé par leur absence, voire par leur incompétence, laissant le champ libre aux charlatans de tout bord dont l'unique raison d'être demeure le profit outrancier et immoral sur le dos de fellahs peu enclins à abdiquer et voir leurs cultures dévorées par des larves destructrices. Surtout que les investissements consentis peuvent facilement, lorsqu'il s'agit de variétés hybrides, dépasser la centaine de millions à l'hectare. Pour les variétés ordinaires cultivées en plein champ, le coût de l'investissement peut atteindre les 40 millions de centimes. Si bien qu'avant l'identification de ce nouveau parasite – qui apparaît pour la première fois dans nos contrées –, étape indispensable à la connaissance de sa biologie et élaborer une technique de lutte efficiente et rationnelle, les agriculteurs concernés se sont rués sans ménagement sur les insecticides. D'autant que les premières infestations, intervenues dans les cultures sous serre, ont fait croire à la présence d'une teigne. D'où le recours intensifs à l'usage d'insecticides susceptibles de détruire ce parasite par ailleurs très connu pour ses attaques ravageuses sur les tubercules de pomme de terre. Mais rapidement, l'efficacité des produits utilisés parfois en concentrations très fortes, au point où certains ouvriers chargés de l'épandage seront pris de malaises, sera largement décriée par les utilisateurs. Abus d'insecticides Ils assisteront à une intense pullulation des larves de tuta absoluta, dont les quatre stades larvaires peuvent durer, selon les premières observations, entre 28 et 76 jours. D'après des travaux de chercheurs latino-américains, la température module considérablement la durée de vie de l'insecte. Ainsi, le cycle biologique complet dure 76, 39 et 28 jours selon que la température est de 14°, 20° et 27°. Par ailleurs, entre 7 et 9°C, l'incubation des œufs, le développement des larves et la transformation de la chrysalide en papillon sont inhibés. On constate que la durée de vie est plus longue en hiver et se raccourcit considérablement durant l'été. Les larves, qui s'attaquent indifféremment aux feuilles et aux fruits dès la nouaison (le premier stade de formation du fruit) ne laissent aucune chance à la plante qui finit par perdre son feuillage et dépérir. Lors des premières infestations, les attaques ne paraissent pas sous leur forme la plus sévère, les plants ont alors suffisamment de temps pour amener les premières grappes de fruits à maturité. Ce qui donne un peu d'espoir aux fellahs qui pensent alors que le parasite s'affaiblit. Mais les larves à la voracité spectaculaire sont en train de creuser des galeries sous le parenchyme des feuilles. La larve semble suivre un cycle pour le moins original pour une mineuse. En effet, contrairement à la mineuse des citrus qui vit totalement dans sa galerie jusqu'à l'éclosion du papillon, tuta absoluta a tendance à quitter par intermittence la galerie creusée dans la feuille, ce qui lui permet de se déplacer plus rapidement à la recherche d'un autre support à dévorer. Ce passage par une phase aérienne devrait être mis à profit par les substances chimiques ou les auxiliaires spécifiques, voire certaines bactéries et autres champignons connus pour leur toxicité sur ce type d'insectes, pour s'attaquer à tuta absoluta et la détruire. A ce titre, l'expérience des chercheurs sud-américains est instructive à plus d'un titre, car elle révèle l'existence d'auxiliaires et de champignons susceptibles de freiner la progression de ce ravageur. Ces modes de lutte ont bien été testés dans des pays d'Amérique latine où ce parasite est signalé depuis plusieurs dizaines d'années, sans toutefois que des résultats probants soient signalés à ce jour. C'est ainsi qu'au Chili, en Argentine, au Brésil ou au Pérou, les moyens de lutte utilisés n'ont pas été à la hauteur des espoirs des paysans et des chercheurs. Dans la plupart des cas, on signale des formes de résistance que cet insecte développe sans difficulté, ce qui réduit à néant les perspectives de lutte. Souvent, des résistances aux insecticides se développent d'autant que les concentrations en insecticides sont plus fortes. Une attitude que partagent tous les agriculteurs de la planète qui ont la fâcheuse tendance de surdoser les produits de traitement, espérant bien naïvement en tirer quelque avantage. C'est exactement ce type de comportement dont se sont rendu responsables les fellahs de la région, qui reconnaissent, après coup, avoir abusé de pesticides. Alors que les récoltes de l'intérieur du pays semblent avoir miraculeusement été épargnées jusque-là, assurant une abondance de fruits, chez les fellahs de la frange maritime, c'est le statu quo qui prédomine. Certains, après avoir constaté les dégâts, se sont résolus à restituer les semences achetées à grands frais. D'autres préfèrent différer la mise en semis, alors que quelques rares irréductibles ont bravé tous les dangers. On signale déjà des attaques sur des semis destinés à l'arrière-saison, dont la transplantation s'effectuera à la première semaine d'août. Par contre, ils sont très nombreux à avoir préparé le sol, enfoui du fumier et des engrais de fond mais qui sont dans un total désarroi. La plupart, maraîchers depuis plusieurs générations, se sont résolus à abandonner la culture de la tomate qu'ils maîtrisent pourtant à la perfection. Le comble est qu'ils n'ont pas beaucoup d'alternatives à cette culture. Pour d'autres fellahs, c'est également l'expectative, notamment les spécialistes en pomme de terre, qui doivent semer dès la fin juillet. Tous redoutent une attaque sur ce tubercule qui, si elle devait se confirmer, mettrait en grand danger cette spéculation phare. Car l'abondance de pomme de terre qui a fait chuter dangereusement les cours n'est pas pérenne. Tous savent que dès la mi-novembre, au moment de la nouvelle récolte, le marché se redressera comme à l'accoutumée. Surtout si tuta absoluta décide de s'attaquer à cette culture qui appartient à la même famille que la tomate. Les attaques signalées sur l'aubergine, le haricot et le poivron ne sont pas faites pour ramener la sérénité chez les agriculteurs de la région. Selon un communiqué de l'INPV, le ravageur serait également présent à Oran, Boumerdès et Jijel, autres zones de prédilection pour la culture sous serre et en plein champ de la tomate.