Le procès tant attendu des cadres d'Air Algérie s'est terminé très tard dans la journée d'hier, laissant un goût amer d'incompréhension. Poursuivis pour dilapidation de deniers publics et octroi d'avantages injustifiés, les quatre prévenus qui ont comparu devant le tribunal correctionnel d'El Harrach, près la cour d'Alger, se sont montrés très sereins, au point de susciter l'interrogation sur leur présence dans le box, notamment pour Akrour Rachid, directeur du département technique, maintenu en détention provisoire depuis plus de sept mois pour « octroi » d'avantages injustifiés.Appelé à la barre, Akrour a expliqué qu'il était habilité à signer les contrats d'approvisionnement depuis que le défunt Tayeb Benouis a décidé, par une instruction adressée à tous les services, de délivrer à tous les chefs de département des délégations de signature pour les contrats qui les concernent directement. La présidente a fait remarquer au prévenu que les clauses du contrat de 1997, pour un montant de 1,2 million de dollars, ont été faites dans l'intérêt du fournisseur américain ASA. « Aucune garantie de préservation des intérêts de la compagnie n'a été introduite. Nous avons l'impression que c'est un contrat entre ASA et ASA », a déclaré la juge. M. Akrour a répondu : « Le contrat est élaboré par trois directions : les finances, le juridique et le technique. C'est à la commission des marchés de négocier les marchés, pas à notre service. »La présidente s'est intéressée longuement à un point important lié à ce contrat et qui concerne la lettre de crédit, qui passe du statut de révocable puis irrévocable, et enfin révocable et confirmée. « C'est au service des finances qu'il faut poser cette question », lui a-t-il répondu. « Mais vous savez que ce mode n'existe pas ? », lui a-t-elle rétorqué. « Cela revient moins cher à la compagnie », a lancé le représentant du juridique, présent à l'audience en tant que témoin. « On ne peut comprendre qu'en 2003, la compagnie ne puisse pas prévoir des clauses de remboursement en cas de non-respect du contrat », a souligné la juge. Elle a précisé que les pièces de rechange commandées en 1997, ne peuvent être utilisées en 2004 du fait qu'elles ont une durée de vie à ne pas dépasser. « Pourquoi n'avez-vous pas annulé le contrat lorsque vous avez remarqué que les pièces commandées n'ont pas été livrées ? », a-t-elle demandé. Le prévenu a expliqué que quand il est arrivé à son poste, les bons de commande de cette facture étaient déjà établis et de ce fait, il faisait obligation de les honorer d'autant que le fournisseur est un regroupeur qui achète auprès des avionneurs les pièces commandées. « Si je n'honore pas ces bons de commande, il pourrait, sur une simple plainte auprès des tribunaux étrangers, nous saisir nos avions », a-t-il noté. L'AFFAIRE NE CONCERNE PAS UN MARCHE PUBLIC Akrour a relevé qu'après avoir remarqué que parmi les pièces expédiées, certaines étaient « rénovées », « nous avons saisi ASA en lui faisant savoir que les relations allaient être rompues. Il a répondu en nous proposant d'utiliser les pièces rénovées et dans trois mois, elles seront remplacées par des neuves à titre gracieux. Mais ce délai n'a pas été respecté ». Néanmoins, il a ajouté que les pièces ont été utilisées pour les avions. Pour lui, toutes ces actions « répondent à la nécessité d'éviter l'immobilisation des appareils et surtout et avant tout à la sécurité des avions ». La présidente lui a demandé alors de dire au tribunal si ces pièces de rechange étaient destinées à des avions en attente de retrait de vol.« Les pièces ne s'arrêtent pas, mieux, elles ont été utilisées pour des avions toujours en activité et servi aussi aux appareils vendus à un Libyen, comme exigé dans le contrat de cession de 5 millions de dollars. » Me Miloud Brahimi, son avocat, est intervenu pour donner plus de détails : « Il s'agit d'une régularisation des arriérés d'un contrat ; en réalité, une exécution des obligations d'Air Algérie. » Ce que Me Bourayou confirmera, tout en rappelant que l'affaire ne concerne pas un marché public. Appelé à s'expliquer, Zemouchi, ex-directeur des approvisionnements techniques, a déclaré que c'est lui qui avait réclamé la suspension des achats des pièces détachées pour les avions appelés à être retirés de l'exploitation. « Nous achetions pour deux ans de pièces, mais j'ai demandé que cette période soit revue à un an. » La présidente a insisté sur l'absence de caution de garantie dans le contrat et le prévenu a répondu : « Ces cautions sont prévues quand il s'agit de grosses pièces. Mais là, ce sont des pièces qui entrent dans la catégorie du consommable. Pas besoin de garantie. » La présidente s'est sentie obligée de rectifier le tir : « J'ai dit que le contrat préserve les intérêts du fournisseur et n'est pas illégal. »Zemouchi a confirmé que les pièces rénovées, expédiées par ASA, ont été utilisées en partie. Il a également soutenu que le refus de l'exécution du paiement des bons de commande aurait « exposé la compagnie à un vrai danger ».Zaouali, cadre au service technique, a lancé d'emblée n'avoir aucune relation avec la lettre de crédit de 300 000 dollars, pour l'acquisition de pièces détachées auprès de ASA, car à l'époque, il n'était pas encore en poste. « Lorsque j'ai été nommé, toute la procédure était déjà faite. » La présidente lui demande d'expliquer comment les dates des factures ont été changées. Le prévenu persiste à noter qu'il n'était pas encore en poste.Le juge s'est tourné vers Zemouchi et l'a interrogé sur la non-conformité des pièces de rechange. « Moi-même lorsqu'on m'a informé qu'elles étaient rénovées, j'ai saisi ASA à 3 reprises, et il n'a pas répondu. J'ai écrit au PDG, qui m'a instruit de suspendre les relations. C'est là qu'il nous a fait la proposition d'un délai de 3 mois, qu'il n'a pas respecté après. »Le juge : « Qui a falsifié les deux factures ? » Le prévenu : « Je n'étais pas en poste à l'époque, c'est Zaouali qui est plus apte à répondre. »La représentante de la partie civile, Mme Amari Latifa, va déclarer que les enquêtes internes n'ont rien révélé, si ce n'est « l'abus de confiance » commis par ASA. Interrogé sur les préjudices, elle a tout simplement affirmé : « Aucun. » Après ce long débat, achevé tard dans la journée, le ministère public a requis 10 ans de prison par défaut contre Djab Khellaf, représentant de ASA, une amende d'un million de dinars et un mandat d'arrêt. Le procureur a également demandé 7 ans de prison contre Akrour Rachid, assorti d'une amende de 500 000 DA, et 5 ans de prison contre Zemouchi et Zaouali, assorti d'une amende de'un million de dinars. Surprenante était la plaidoirie de la partie civile, qui a juste demandé des dommages et intérêts à ASA d'un montant de 34 millions de dinars, précisant qu'elle n'avait rien à demander aux prévenus du fait qu'ils n'ont causé aucun préjudice à la compagnie.