La lutte contre le terrorisme est sujette, ces derniers jours, à une géométrie politique variable en fonction du locuteur. On est passé allégrement des déclarations infiniment réductibles de l'ampleur du phénomène à celles, plus percutantes, qui dictent un changement sans tarder dans la conduite à tenir. « Le nombre de terroristes susceptibles de commettre des attentats est très réduit… Il n'y a pas de nouveaux recrutements dans les rangs des terroristes », dit le ministre de l'intérieur, Yazid Zerhouni. « Nous étions en phase de résistance ; désormais, nous sommes dans une situation offensive », soutient le DGSN, Ali Tounsi, juste le lendemain. Si, a priori, les deux responsables – d'un même service du reste – suggèrent que le terrorisme est vaincu ou en voie de l'être, il y a tout de même un détail de taille dans le fond. Pour le premier flic du pays, le nombre de terroristes encore au maquis est insignifiant dès lors qu'il n'y a plus de « recrutement », d'après lui. Son adjoint, quant à lui, parle de la solution finale en évoquant une prochaine offensive. Ce qui sous-entend qu'une telle opération, certainement menée à grands moyens, sera dirigée non pas contre une poignée d'irréductibles, mais sur des maquis entiers à nettoyer. Cette nuance est d'autant plus importante à souligner que le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, a réuni la semaine dernière « un mini conseil de sécurité » pour mettre au point un plan de bataille. C'est sans doute l'offensive évoquée par Ali Tounsi, qui était l'un des invités de Ouyahia en compagnie du commandant de la gendarmerie nationale, le général Boustila. En dehors du fait que ce soit là une première qu'un chef du gouvernement convoque les responsables de deux institutions versées dans la lutte contre le terrorisme – dossier géré directement par le Président –, il faut noter la curieuse absence du tout-puissant ministre de l'Intérieur au rendez-vous. Mystère… Le sérail se fissure S'il est vrai que le discours de Yazid Zerhouni sur la situation sécuritaire du pays confine parfois à l'anecdotique et, par conséquent, ne suggère pas une stratégie cohérente et pérenne de lutte, il est tout aussi vrai de souligner que son absence à la « revue des troupes » de Ouyahia constitue un grand point d'interrogation. Y a-t-il été invité ? Ou a-t-il refusé d'y assister ? Faut-il y déceler une impossible réconciliation entre les positions franchement éradicatrices de Ahmed Ouyahia et le souci de Zerhouni de rester en phase avec la « main tendue » de Bouteflika ? Il y a, assurément, une différence d'appréciation et d'approche de l'équation sécuritaire, sans doute superposée à une possible lutte politique au sérail, qui déborde pour une fois sur la place publique. Que Ahmed Ouyahia fasse étalage de son intention de jouir de toutes ses prérogatives constitutionnelles en dit long sur sa détermination à changer de cap avec la bénédiction des décideurs. Militaires et civils. Il n'entend point être l'homme lige qu'était Abdelaziz Belkhadem. « L'assaut » annoncé traduit, peut-être, le souci de lever l'hypothèque sécuritaire – outrageusement exploitée – qui plombe tous les secteurs de la vie nationale. Et cette nouvelle recette du « nouveau » Ouyahia survient dans un contexte marqué par une rumeur lancinante sur un retour aux affaires de l'ex-chef d'état-major des armées, le général-major, Mohamed Lamari. L'éventuel retour de celui qui a démissionné au soir de la victoire de Bouteflika en avril 2004 sonne comme un cinglant aveu d'échec dans la conduite de la lutte contre le terrorisme. En revanche, Lamari et Ouyahia formeraient un duo explosif. Au propre et au figuré. C'est à ce niveau peut-être que se situe la ligne de démarcation entre deux options de gouvernement qui fondamentalement s'excluent, mais qui, au nom de la discipline du sérail, s'accommodent de compagnonnages de circonstances. Sinon par quelle alchimie politique pourrait-on réconcilier le « va-t-en guerre » de Ouyahia et la « porte du pardon qui restera à jamais ouverte » de Bouteflika ? Plus prosaïquement, comment concevoir la main tendue de Bouteflika aux terroristes dans les maquis en plein feu nourri des commandos annoncés de Ouyahia ? Tenter un aussi grand écart risque de s'avérer un tir à blanc… A moins que ces contradictions et ces intrigues au sommet ne soient les prémisses de bouleversements politiques via une guerre de positions à quelques mois de la présidentielle.