C'est un impressionnant numéro d'actrice qu'offre Sylvie Malissard au festival off d'Avignon. Avec l'adaptation du texte de Didier Daeninckx Cannibale, elle rouvre le débat sur la dureté, et c'est un euphémisme, de la période coloniale et ses prétendus « bienfaits ». Avignon(France) : De notre envoyé spécial Sur un plateau sobre, la comédienne seule au monde, est un frêle esquif perdu sous les lumières. Cette astuce scénique met d'emblée dans le bain les spectateurs et les transporte à l'époque de l'exposition coloniale de 1931, période pendant laquelle se déroule l'histoire sur laquelle l'auteur braque le projecteur sur un des aspects criminels. Pour agrémenter ce miroir de la grandeur française, on a déplacé des hommes parqués comme des animaux : 91 hommes et 14 femmes arrachés à leur famille et à leur terre. L'histoire est authentique. Une centaine de ces canaques (Nouvelle Calédonie) avait été amenée à Paris pour jouer le rôle des « cannibales authentiques ». Mis à nu (littéralement) alors qu'ils sont très pudiques, et éduqués par la conquérante religion chrétienne, ils sont déshabillés pour danser et mimer l'agressivité. A l'époque, des administrateurs de l'événement en avaient prêté même aux Allemands, pour des exhibitions. Pour la comédienne la question se pose d'elle-même : « de quoi sommes-nous donc faits pour arriver à penser que l'autre nous est inférieur ? ». Autrement dit, comment fonctionne l'idéologie colonialiste qui dénie au peuple asservi la moindre humanité, sous des discours progressistes convenus. Sylvie Malissard, dans cette adaptation, fait passer cette thématique sans grandiloquence, en nous donnant à vivre l'histoire profondément humaine de Gocéné, qui part avec son ami Badimoin à la recherche, dans un Paris jungle, de sa bien-aimée qu'il a juré, avant son départ de la Nouvelle-Calédonie, de protéger. Dans un lot amené comme un troupeau, elle a été envoyée amuser les foules allemandes dans un cirque. L'issue de cette quête sera tragique pour son ami, alors que Gocéné va être emprisonné trois ans, avant de regagner son pays. Rien n'a été inventé. Tout est tiré des archives de Nouméa. Au-delà de la dénonciation du colonialisme, de ses ravages dans les consciences et l'inconscient collectif, elle manifeste la lutte contre l'amnésie et se fait le porte-voix de la résistance des cultures, faisant résonner des paroles fortes d'engagement, se rapprochant au plus près du public : « Solidarité avec le genre humain ! Refusez d'être complices des fusilleurs ! »Des paroles, une présence qui, outre de parler à tout être humain sensible, apporte une leçon de citoyenneté utile dans une France de 2008, devenue pluriethnique, mais où l'on parque encore, dans des conditions indignes, des hommes et des femmes parce qu'ils sont sans-papiers, venus d'un ailleurs improbable, et dont on se demande si certains ne le considèrent pas comme non humain.