C'est une famille totalement détruite et éplorée que nous avons rencontrée hier, trois ans après l'enlèvement et l'exécution des deux diplomates algériens en Irak. L'acte de décès à la main, les deux filles Safia et Moufida Belarouci ont exprimé leur colère contre une administration qui refuse, selon elles, de reconnaître le statut de martyr du devoir à leur père, Ali Belarouci, chef de la mission diplomatique, assassiné par un groupe armé. « Le 21 juillet 2008, nous avons reçu l'acte de décès de notre père, daté du 21 juillet 2008, soit 3 ans jour pour jour après l'enlèvement, et les responsables de l'administration des affaires étrangères nous ont informés qu'ils ne pouvaient rien faire pour réclamer les corps des défunts dont l'exécution a été annoncée par Al Qaïda le 27 juillet 2005. Nous ne voulons pas connaître les raisons politiques de leur assassinat ni les motivations des auteurs. Nous voulons juste que le sacrifice de notre père au nom de l'Algérie ne soit pas vain. Nous voulons de la considération pour sa mémoire et non pas un simple papier pour nous confirmer sa mort, comme s'il avait été écrasé par une voiture. Non, notre père a payé de sa vie son engagement pour l'intérêt de son pays. C'est un martyr et il mérite tout le respect que nous devons aux chouhada. », déclare en pleurs Moufida Belarouci. Le mépris Safia, sa sœur, tente de la calmer, mais il est difficile pour ces deux orphelines d'accepter ce mépris affiché par les anciens collègues de leur père. « Je me traumatise chaque jour en regardant cette vidéo où mon père, les mains ligotées et les yeux bandés fait ses aveux. Ce sont les derniers mots que je garde de lui, et à chaque fois que je les vois, je ressens un terrible sentiment de colère contre ceux qui n'ont rien fait pour sauver sa vie et ceux qui ignorent son sacrifice. Le jour où il nous a annoncé qu'il avait été nommé à Baghdad, nous lui avons demandé de ne pas partir et sa réaction a été brutale. “L'Etat m'a désigné pour le représenter, je ne peux refuser. Je suis en service commandé. C'est comme être au service de l'emblème national.'' Aujourd'hui, ils nous jettent son acte de décès en nous disant qu'il n' y a aucune assurance vie pour nos diplomates exerçant dans des pays en guerre. Nos diplomates doivent savoir qu'ils ne sont protégés nul part par leur Etat », lance Safia. Elle considère cette réaction comme un « deuxième assassinat » de son père. Pendant des heures, Safia et Moufida se remémorent les souvenirs de leur père et l'attachement à son pays. Elles regrettent que les terroristes d'Al Qaïda, revenus d'Irak, soient mieux considérés par les autorités que les deux diplomates. C'était, faut-il le rappeler, un 21 juillet 2005 que Ahmed Belarouci, 62 ans, chef de la mission diplomatique, et son adjoint Azzeddine Belkadi, 47 ans, ont été enlevés par des terroristes devant le siège de l'ambassade d'Algérie à Baghdad, en Irak. Le 23 juillet 2005, la branche irakienne d'Al Qaïda revendique le rapt de Belarouci (qui vivait avec sa famille à Baghdad depuis près de deux ans) sans pour autant donner des informations sur Azzedine Belkadi, qui avait rejoint la capitale irakienne, la veille de son enlèvement. Le 25 juillet, les auteurs publient un communiqué sur le site internet d'Al Qaïda, dans lequel ils déclarent : « L'Algérie s'est empressée d'obéir aux croisés en envoyant son représentant en Irak (...) N'avez-vous pas tiré les leçons du sort de l'ambassadeur du tyran égyptien ? » L'émissaire égyptien en Irak, Ihab El Cherif, avait été enlevé au début du mois de juillet 2005 par la faction irakienne d'Al Qaïda, dirigée alors par le Jordanien Abou Mossaâb Zerkaoui (abattu quelques mois plus tard par les troupes américaines). Il a été torturé, puis sommé de faire des aveux devant les caméras des terroristes, avant d'être exécuté. Le même scénario est réédité avec les deux diplomates algériens. Dossier classé L'une des images publiées sur le site internet d'Al Qaïda montre la carte de membre d'un club de chasse irakien portant la photo d'Ali Belarouci et ses coordonnées écrites en arabe. Le 27 juillet 2005, Al Qaïda confirme l'exécution des deux Algériens et, à ce jour, leurs corps ne sont pas encore retrouvés, alors que pour celui du diplomate égyptien, les négociations ont fini par aboutir pour sa récupération par son pays. L'exécution de Belarouci et de Belkadi ont suscité de vives condamnations. Le président de la République a ordonné au parquet d'Alger l'ouverture d'une instruction judiciaire et de pousser l'enquête à ses extrêmes limites. Dans le communiqué de la présidence, rendu public le jour même de l'annonce de l'exécution des diplomates, on lit : « L'Algérie se souviendra. Elle poursuivra de sa froide détermination ceux qui ont osé s'attaquer si scandaleusement aux enfants d'un pays qui a tant fait pour lutter aux côtés du peuple irakien. » Seuls le GSPC et Ali Benhadj se démarquent des condamnations. Si l'organisation de Abdelmalek Droukdel félicite l'acte odieux, le numéro 2 du parti dissous déclare sur la chaîne qatarie Al Jazeera : « En accréditant des ambassadeurs et des diplomates dans un pays sous occupation, (leur) Etat ne fait que légitimer cette occupation, ce qui est inacceptable aux plans de la charia et de la politique. » Il salue « les moudjahidine sur le sol de la résistance en Irak, que Dieu les aide à faire face, avec fermeté et détermination, à l'occupant spoliateur, à ses agents et ses acolytes (...) d'autant que l'histoire nous a appris que le jihad et la résistance sont la seule réponse à l'occupation ». Des propos qui suscitent l'indignation et une poursuite judiciaire, pour « apologie de crimes terroristes, incitation au meurtre et publication d'écrits faisant l'apologie du terrorisme ». Mis sous mandat de dépôt par le tribunal de Hussein Dey, il bénéficie quelques mois plus tard d'une extinction des poursuites, décrétée par Bouteflika, dans le cadre de la réconciliation nationale. Pourtant, le même président avait dénoncé, en septembre 2005, lors d'une réunion du Conseil des ministres « les voix indignes et les comportements coupables » qui ont applaudi à l'enlèvement et à l'exécution des deux diplomates. De tels individus ne peuvent faire partie de notre peuple et c'est pour les isoler et les combattre, de manière encore plus impitoyable, que nous devons rassembler le reste de notre société dans ce grand élan de réconciliation nationale ». Trois ans plus tard, l'amnésie – pour ne pas dire l'amnistie – a fait oublier le sacrifice des deux diplomates. L'enquête sur leur mort est classée faute de dépouilles, qui auraient pu, faut-il le préciser, aider les familles à faire leur deuil et à accepter une fois pour toutes cette mort injuste et inexpliquée. Trois ans déjà sont passés et l'Etat n'a toujours pas rendu hommage à leur sacrifice.