Les troupes syriennes ont tiré vendredi sur des manifestants, mobilisés par dizaines de milliers à travers le pays, notamment à Damas, frappé la veille par l'attentat le plus meurtrier en près de 14 mois de révolte. Sur le front diplomatique, et pour mettre davantage de pression sur le régime de Bachar al-Assad qui réprime la contestation dans le sang, l'Union européenne va prendre lundi de nouvelles sanctions en gelant les avoirs d'entreprises et de personnes considérées pour la plupart comme des sources de financement du régime. Sur le terrain, les forces de sécurité ont tiré sur les manifestants à Tadamone, quartier de Damas traditionnellement hostile au régime, tandis que plusieurs rassemblements avaient lieu dans la capitale et en province, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) et des militants. Les troupes gouvernementales ont également ouvert le feu sur des manifestants à Hama (centre), Alep (nord), où un manifestant a été tué, et Hassaka (nord-est), où les protestataires ont riposté en jetant des pierres sur les soldats, d'après les mêmes sources. Malgré un déploiement massif de l'armée dans plusieurs villes et localités, des dizaines de milliers de manifestants sont sortis après la prière du vendredi pour réclamer la chute du régime et accuser le pouvoir d'avoir perpétré les attentats de Damas pour nuire à leur révolte. "Notre révolution n'a rien à voir avec les attentats terroristes du régime", pouvait-on lire sur une pancarte brandie par des manifestants dans une mosquée dans la ville côtière de Jableh, alors que régime et opposition se rejettent la responsabilité des attaques qui ont fait jeudi 55 morts et 372 blessés. "Les attentats sont une preuve de l'échec (du régime, ndlr), nous, nous serons jamais vaincus", proclamait une autre pancarte à Boukamal (est). "Bachar, on veut te faire tomber, même si tu continues à nous assiéger", ont scandé des manifestants dans la province d'Idleb (nord-ouest). Les militants anti-régime avaient appelé les habitants de Damas à manifester pour "se révolter" contre le régime qui, selon eux, "n'hésitera pas à tuer tout le peuple pour atteindre son objectif". Selon l'OSDH, 938 personnes dont 662 civils ont péri dans les violences depuis la trêve, entrée techniquement en vigueur le 12 juillet. Le Conseil de sécurité de l'ONU a demandé au régime et à l'opposition "la cessation de toute forme de violence armée" conformément au plan de Kofi Annan qui prévoit un cessez-le-feu et un retrait de l'armée des villes. Les voitures bourrées de "plus d'une tonne d'explosifs" selon le pouvoir ont explosé jeudi à une heure de pointe devant un immeuble de la Sécurité dans le quartier Qazzaz à Damas, y semant chaos et désolation. La plupart des victimes sont des policiers, selon l'OSDH. Pour le régime, qui assimile les rebelles à des "terroristes" et ne reconnaît pas la contestation, ces attentats sont la preuve que la Syrie est visée par un "complot terroriste" financé par l'étranger. Sur les lieux de l'attentat, des Syriens ont repris la rhétorique du régime sur l'implication du réseau Al-Qaïda dans les violences. "C'est Al-Qaïda qui a fait ça, j'en mettrais ma main à couper", s'est exclamé un habitant. Et pour Téhéran, allié de Damas, "ces actes terroristes ont été téléguidés par l'arrogance mondiale", en référence aux pays occidentaux. Les rebelles ont nié toute implication dans l'attentat de Damas, affirmant qu'ils avaient "déserté l'armée pour protéger les civils, pas pour les tuer". Et selon le Conseil national syrien (CNS), principale composante de l'opposition, c'est le régime qui entretient une relation "très forte" avec Al-Qaïda et recourt à "une nouvelle technique, le terrorisme" pour saboter le plan Annan. M. "Assad a le sentiment qu'il peut laisser tomber le plan Annan sans en subir les conséquences", a affirmé le chef du CNS, Burhan Ghalioun. Vendredi, les troupes syriennes ont bombardé la ville rebelle de Rastane, dans la province de Homs (centre) et tué quatre civils dans des opérations à Hama (centre), selon l'OSDH. Alors que la mission des observateurs de l'ONU ne parvient pas à faire respecter la trêve, l'escalade de violences, qualifiée de "dangereuse" par le chef de la Ligue arabe Nabil al-Arabi, rapproche encore un peu plus la Syrie de la guerre civile, selon des analystes. "Depuis le tout premier jour, le régime répond aux protestataires par la guerre (...) et finira probablement par en subir les conséquences", souligne Paul Salem, directeur du Centre Carnegie pour le Moyen-Orient. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon avait dit craindre mercredi "une guerre civile de grande envergure aux effets catastrophiques". Les violences ont fait plus de 12.000 morts depuis mars 2011, en grande majorité des civils tués dans la répression, selon l'OSDH.