Une nouvelle épreuve de force se profile entre le pouvoir et l'opposition islamiste en Jordanie avec deux manifestations rivales massives vendredi à Amman, qui font craindre un dérapage. Selon les organisateurs, environ 200.000 personnes soutenant les efforts du roi Abdallah II en vue de réformes et plus de 50.000 partisans des Frères musulmans, la principale force d'opposition, les jugeant insuffisants, doivent défiler au même endroit et à la même heure. "Notre rassemblement sera civilisé et pacifique. Nous ne défions personne et nous ne voulons provoquer personne", a dit Zaki Bani Rcheid, un responsable des Frères musulmans, en réitérant les demandes d'une "loi électorale équitable, d'une lutte sérieuse contre la corruption et de réformes constitutionnelles". Il a rejeté les "rumeurs provocatrices" selon lesquelles le rassemblement "appellera au départ du roi", en accusant "des parties suspectes de vouloir susciter une crise". "Il faut arrêter de diaboliser le mouvement islamiste et cesser les provocations à son encontre". En réponse à un mouvement de contestation réclamant depuis janvier 2011 des réformes économiques et politiques, le roi Abdallah II a annoncé des législatives anticipées en souhaitant qu'elles aient lieu avant la fin 2012. Les Frères musulmans ont annoncé qu'ils les boycotteraient comme ils l'avaient fait en 2010 pour protester contre l'absence de réformes de fond. Ils estiment que le système électoral privilégie les régions rurales considérées comme loyales au pouvoir et réclament un système parlementaire où le Premier ministre est élu et non nommé par le roi. Ils ne réclament pas néanmoins un départ du roi. Sous le slogan "Le vendredi du salut du pays", la manifestation à l'appel des islamistes défilera, après la prière hebdomadaire de midi, de la Mosquée Al-Husseini jusqu'à la place Al-Nakhil, un km plus loin. Au même moment et au même endroit, quelque 200.000 personnes sont attendues pour exprimer "leur soutien aux efforts de réformes du roi", selon Jihad al-Cheikh, l'un des organisateurs de la contre-manifestation qui aura pour slogan "L'allégeance et l'appartenance". Les manifestants, auxquels seront distribués chapeaux et Tee-shirts avec des portraits du roi, seront amenés sur place à bord d'une centaine de bus en provenance de différentes régions du royaume, a-t-il précisé. Pour lui "les objectifs de la manifestation des Frères musulmans sont suspects. Ils cherchent la confrontation". "Cette fois-ci, ce n'est pas seulement une démonstration de force mais une tentative d'écraser l'autre et cela est dangereux", estime l'analyste Ouraib Al-Rintawi, le directeur du centre Al-Qods pour les études politiques. "Les islamistes ont organisé plusieurs rassemblements pacifiques et dans le cadre de la loi" et celui de vendredi "ne sera pas une exception", a-t-il dit en déplorant les "rumeurs selon lesquelles les Frères veulent entrer en confrontation avec la police". L'expert politique Labib Qimhaoui est du même avis: "C'est une tentative de casser l'autre. Le choix du même endroit et de la même heure pour la contre-manifestation vise à créer une crise". Il accuse "le gouvernement de chercher à envenimer la situation à travers une forte mobilisation médiatique contre les Frères musulmans". Selon lui, "il est aussi possible que le ministre de l'Intérieur interdise les deux manifestations en arguant de la crainte de violences alors qu'en fait il veut empêcher surtout celle des Frères". Ce qui fait redouter un dérapage, c'est une possible "absence des forces de sécurité du lieu des défilés", comme l'a affirmé Al-Raï. Pour ce journal gouvernemental, les forces de l'ordre pourraient en effet craindre "d'être accusées de prendre le parti d'une des manifestations aux dépens de l'autre". Pour M. Qimhaoui, "la menace d'une telle absence est un appel au chaos et à l'affrontement".