Le régime syrien savoure sa vengeance et les médias officiels prennent depuis trois jours jours un malin plaisir à utiliser le même vocabulaire que la Turquie a usé à l'égard de Bachar al-Assad en soutenant le soulèvement contre lui. Raillant les malheurs du gouvernement turc, qui fut un grand ami du régime syrien avant d'appuyer la rébellion, les ministres syriens ont accusé Ankara de "terroriser" sa population et ont décrit le mouvement de protestation comme le "vrai Printemps". Dimanche, le ministère des Affaires Etrangères a "conseillé" aux Syriens d'éviter de se rendre en Turquie "à cause de la détérioration de la situation sécuritaire". Plus de 400.000 réfugiés ayant fui les violences en Syrie se trouvent actuellement dans le sud de la Turquie, et Istanbul a récemment une grande réunion de l'opposition syrienne. La télévision officielle syrienne, qui n'a jamais accordé d'importance aux manifestations contre M. Assad, couvre les événements en Turquie en continu et a annoncé dans une alerte que les manifestants réclamaient la démission du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. "Vous devez démissionner si vous respectez réellement la démocratie. Le mouvement en Turquie est un vrai Printemps", a lancé à M. Erdogan un expert syrien sur la chaîne officielle al-Ikhbariya. "C'est une révolution pure car ni le Qatar ni Israël ne sont impliqués", assure la télévision, qui accuse régulièrement ces deux pays de soutenir les insurgés syriens. Samedi, le ministre de l'Information Omrane al-Zohbi a repris mot pour mot les appels à la démission de M. Erdogan à l'adresse de Bachar al-Assad. "Le fait qu'il empêche les manifestations pacifiques prouve qu'Erdogan est déconnecté de la réalité. Le peuple turc ne mérite pas une telle sauvagerie", a-t-il dénoncé. Dimanche, le ministre a enfoncé le clou en appelant la Turquie à "libérer tous les prisonniers de conscience" et en estimant que "rien ne justifiait l'arrestation d'un si grand nombre de manifestants pacifiques". Deux jours de violents incidents ont fait des centaines de blessés en Turquie, où plus de 1.700 manifestants ont été arrêtés. En Syrie, les violences ont fait plus de 94.000 morts depuis mars 2011 et plusieurs dizaines de milliers de personnes sont détenues dans les prisons du régime, selon des ONG. Pour Damas, les images de violences en provenance d'Ankara représentent une occasion de rendre la pareille au gouvernement islamo-conservateur d'Ankara. La Turquie est le principal appui à la rébellion, et la longue frontière commune permet le passage de rebelles et de munitions. Une grande partie du nord syrien est d'ailleurs hors de contrôle du gouvernement, qui accuse son voisin de piller ses usines dans la région d'Alep. La télévision syrienne accorde une couverture exceptionnelle aux manifestations contre "la junte au pouvoir" en Turquie. Les médias syriens assurent même que le projet d'aménagement urbain contesté, à l'origine de la révolte à Istanbul, vise à construire un centre commercial "financé par des investisseurs qataris et la famille d'Erdogan". Les mots comme "protestations populaires", "manifestations pacifiques" et "révolution" utilisés pour décrire ce qui se passe chez le voisin honni, n'ont jamais été employés pour le mouvement de révolte syrien, considéré par Damas comme un complot terroriste international. Le quotidien al-Watan, proche du pouvoir, résumait ainsi dimanche le sentiment des autorités syriennes: "Après des dizaines de déclarations critiquant la Syrie, le Premier ministre a autorisé ses forces à utiliser une force excessive et la barbarie contre des milliers de manifestants pacifiques".