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Fadèla Amara: Chronique d'une déception
Publié dans Ennahar le 17 - 10 - 2009

Au gouvernement depuis plus de deux ans, la secrétaire d'Etat à la Politique de la ville ne convainc pas. Son projet pour les banlieues patine. Son cabinet se délite. Son charme n'opère plus. Chronique d'une déception. Ce n'est pas encore pour cette semaine. Ce n'est pas prévu non plus pour les suivantes. A l'agenda de Nicolas Sarkozy ne figure pas de sortie en compagnie de Fadela Amara dans une banlieue. Depuis son entrée au gouvernement, il y a vingt-sept mois, la secrétaire d'Etat à la Politique de la ville l'a pourtant maintes fois espérée.
Elle attendait le chef de l'Etat à Vaulx-en-Velin (Rhône), le 22 janvier 2008. Bien que les équipes élyséennes aient effectué les repérages nécessaires, sa venue a été annulée. Un an après (c'était le 6 février), elle déclarait encore: "Il avait programmé plusieurs visites, mais des éléments extérieurs l'en ont empêché. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il va prochainement se rendre dans des quartiers difficiles." Ce n'est toujours pas le cas. Certes, la fréquentation de ces lieux est délicate pour Nicolas Sarkozy. Mais cela n'explique pas tout. S'affiche-t-on au côté d'une ministre qui a trop failli ?
C'est l'histoire d'une militante associative qui n'était pas préparée à dompter la machine de l'Etat. C'est l'histoire d'une femme de gauche qui n'a jamais vraiment trouvé sa place dans un gouvernement de droite.
Ses mesures phares patinent
C'est l'histoire d'une secrétaire d'Etat qui ne fait plus illusion. Le "grand plan Marshall des banlieues" promis par Nicolas Sarkozy pendant sa campagne présidentielle, mis en musique par l'ancienne présidente de Ni putes ni soumises, est aujourd'hui à la peine. "Cela restera l'un des gros échecs de ce quinquennat", note un des principaux ministres de l'équipe Fillon. "J'ai adhéré à son discours, très républicain; j'aurais pu signer tout ce qu'elle a dit, relève Claude Dilain, maire (PS) de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Mais les arbitrages n'ont pas suivi."
Vingt mois après la présentation de la "dynamique Espoir banlieues", le bilan est cruel. La "lutte contre la glandouille" était l'obsession n°1 de la secrétaire d'Etat à la Ville, qui avait promis d'arracher les jeunes du pied des tours et de faire venir le CAC 40 dans les cités. Las. Le contrat d'autonomie, sa mesure phare en matière d'emploi, patine. L'idée était séduisante: des coachs à l'anglo-saxonne au chevet de la banlieue; des opérateurs privés payés au résultat 7500 euros par jeune; un objectif de 45 000 d'ici à 2012.
Entre-temps, la crise est passée par là. Sur les 13 338 coachés par des cabinets de placement, seuls 1 162 jeunes ont décroché une embauche ou une formation. Les académies d'art, les maisons de la santé n'ont pas vu le jour.
Quant au busing (le transport des élèves d'une école ghetto vers une autre, mieux lotie), neuf villes seulement l'ont mis en place. "On vit encore sur l'acquis Borloo [allusion à son plan de cohésion sociale de 2005]", reconnaît Yves Jégo, député maire (UMP) de Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), qui salue néanmoins la "légitimité" de Fadela Amara.
Pour tenter de repêcher Espoir banlieues, une réunion s'est tenue, le 1er octobre, à l'Elysée. "J'ai expliqué au président qu'il fallait la mobilisation de tous les ministres et aussi une continuité du souffle, affirme Fadela Amara. Je sais que je saoule, mais je saoulerai jusqu'à la fin. Dans la vie, il ne faut jamais changer de stratégie."
Nommée à un poste mal défini, la secrétaire d'Etat tout-terrain doit s'appuyer sur les budgets des autres - une révolution dans la philosophie de la politique de la ville, chaque ministère menant un programme triennal à destination des quartiers. "Même si Amara sait défendre les dossiers, c'est Bercy et l'Intérieur qui décident, souligne le maire (PS) de Sarcelles (Val-d'Oise), François Pupponi. Elle rame contre les technostructures, or, s'il n'y a pas un chien de garde pour tout vérifier, ça tombe à l'eau !" Actuellement, la secrétaire d'Etat plaide auprès d'Alain Juppé pour qu'une partie du grand emprunt finance ses internats d'excellence.
Enlisée et affaiblie
Ses propres fonds sont aussi régulièrement menacés. Le 6 octobre, lors de la séance des questions à l'Assemblée, celle qui rêve d'afficher un budget de 1 milliard d'euros (769 millions actuellement) s'en prend à Eric Woerth, son collègue du Budget et des Comptes publics, assis derrière elle. Elle vient de découvrir dans la presse que ses crédits d'intervention étaient amputés de 10 millions. L'histoire se répète. Il y a un an, au même endroit, elle avait interpellé à plusieurs reprises François Fillon pour obtenir des garanties de financement qui étaient remises en question.
De cet enlisement a découlé un véritable affaiblissement. Ces derniers mois, les revers se sont accumulés. Cet hiver, cette figure de l'ouverture a mal vécu la promotion d'un autre homme issu de la gauche, l'énarque et normalien Martin Hirsch, fait haut-commissaire à la Jeunesse - un sujet qu'elle revendiquait. Les projets de l'ex-patron d'Emmaüs ont remisé dans l'ombre médiatique et interministérielle les combats de l'ex-patronne de Ni putes ni soumises. Les réseaux associatifs du premier ont supplanté ceux de la seconde, également affaiblis par les ennuis judiciaires de Julien Dray, son ex-mentor. Le 29 septembre, à Avignon, lors de la présentation, par le chef de l'Etat, du plan jeunesse concocté par le haut-commissaire, Fadela Amara n'est même pas conviée.
Cet été, à l'occasion du remaniement du 25 juin, elle n'est pas propulsée ministre de plein exercice, comme elle l'espérait. "Si on veut que les choses changent, il faut en passer par là. On perd moins de temps", argumentait-elle en janvier. Fadela Amara est finalement restée secrétaire d'Etat à la Ville. Elle passe sous la tutelle de Xavier Darcos, nouveau ministre des Affaires sociales, et demande alors son transfert sous l'autorité de Jean-Louis Borloo. Déjà, en 2008, quand sa cohabitation avec Christine Boutin était si tumultueuse, elle avait souhaité un tel rattachement. Comme l'an passé, son vœu n'a pas été exaucé. Fadela Amara rêvait d'être une "ministre qui dérange", elle est devenue une ministre dont on s'arrange.
Défections au cabinet
Cet automne, ce sont les remous au sein de son cabinet qui lui nuisent considérablement. Un turnover rarement vu dans un ministère. Depuis juin 2008, plus de 50 collaborateurs de tous ordres sont partis, volontairement ou poussés par elle vers la sortie. En septembre, son troisième directeur de cabinet et six autres conseillers l'ont quittée. "C'est un bordel indescriptible. Cela fait perdre du temps, dilue l'efficacité des décisions", témoigne le membre d'une équipe voisine. Un de ses anciens collaborateurs rapporte: "Pour toute décision, il fallait chaque fois passer par le conseiller spécial. Cela n'était plus la peine de rester."
Avec ce dernier, Mohammed Abdi, la secrétaire d'Etat à la Ville forme, depuis plus de vingt ans, un duo inflexible, à qui l'on reproche son indécision et sa manière d'humilier les autres. Face à ces critiques sur son comportement, Fadela Amara se justifie : "Je gère l'un des dossiers les plus lourds du gouvernement. Il y a une pression permanente. J'ai une obligation de résultats plus importante que les autres ministres."
Au fond, même si elle reste très populaire dans les sondages et les quartiers, a-t-elle vraiment trouvé sa place dans la majorité? Hormis Jean-Louis Borloo, Fadela Amara n'a tissé de liens qu'avec peu de ses collègues. Le 3 novembre, Yazid Sabeg, commissaire à la Diversité et à l'Egalité des chances, lancera l'expérimentation du CV anonyme, aux côtés d'Eric Besson, de Xavier Darcos et de Laurent Wauquiez. Mais pas d'elle. "Elle est insignifiante. Je lui ai servi de faire-valoir, elle ne cherchait que les chamailleries. Je ne veux plus en parler", lâche son ancienne "patronne", Christine Boutin. "Tu as tort de ne pas être là", lui a plusieurs fois expliqué Jean-François Copé, au sujet de son absence aux réunions du groupe UMP à l'Assemblée.
L'an passé, les jeunes UMP lancent une grande réflexion sur les banlieues. "Avec Yazid Sabeg, nous avons eu un vrai échange. Martin Hirsch nous a adressé une lettre pour nous indiquer ce qu'il reprenait de nos idées, raconte un responsable de ce mouvement. De Fadela Amara nous avons senti peu d'intérêt et n'avons eu aucun retour."
Aux régionales, n° 2, derrière Hortefeux?
Les campagnes électorales restent des moments délicats pour celle qui a déclaré qu'elle ne voterait pas pour Sarkozy en 2012, avant de se rétracter. A la veille des municipales de 2008, l'ex-membre du PS imaginait pouvoir soutenir des candidats issus de la diversité, quelles que soient leurs étiquettes. Elle a dû y renoncer. Malgré tout, en la matière, elle s'apprête à franchir un pas. Aux élections régionales de mars 2010, Fadela Amara devrait être n°2, derrière Brice Hortefeux, sur la liste qu'il conduira dans le Puy-de-Dôme.
"On ressent désormais chez elle une certaine lassitude", confie un des rares ministres à qui elle se livre. "Elle est agacée de ne pas trouver d'écho dans les ministères", certifie un autre de ses collègues. "Depuis les élections européennes, elle a eu un vrai coup de mou", ajoute un de ses anciens collaborateurs. "C'est un secrétariat d'Etat très usant", reconnaît Fadela Amara. Pourrait-elle bientôt partir ? Certains l'imaginent déjà prendre la présidence de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations, libre au printemps prochain. "Je me fous, moi, qu'il m'instrumentalise. Ce que je veux, c'est que cela bouge dans les quartiers", assurait-elle au sujet de Nicolas Sarkozy, quelques mois après sa nomination. Et si le jeu de rôles était terminé.


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