SANAA - La marche la plus importante depuis le début de la contestation au Yémen a accompagné dimanche à Sanaa les dépouilles de manifestants tués dans ce que l'opposition a dénoncé comme un massacre. Dans le même temps, les défections de responsables du régime du président Ali Abdallah Saleh, de plus en plus isolé, se sont accélérées et des dignitaires religieux et tribaux ont appelé les forces de l'ordre à refuser de tirer sur les manifestants. Un cortège massif s'est étiré sans incident sur une avenue et dans les rues autour de la Place de l'Université, épicentre de la contestation jusqu'au cimetière où ont été mis en terre plusieurs des 52 manifestants tués vendredi. Cette tuerie attribuée à des partisans du régime a marqué la journée la plus sanglante depuis le début fin janvier de la contestation contre le président Saleh dans la seule république de la péninsule arabique, alliée des Etats-Unis dans la guerre contre le terrorisme. "Le sang des martyrs ne sera pas versé en vain", criait la foule dans une ambiance surchauffée, en suivant la procession des cercueils portés par des jeunes sur leurs épaules. "C'est le président qui a donné l'ordre de tirer", a affirmé l'un des manifestants, Ahmed, qui a dit ne pas croire à la version officielle selon laquelle les tirs n'étaient pas le fait des forces de l'ordre. M. Saleh avait regretté la mort des manifestants et décrété un jour de deuil pour les funérailles, sans calmer le ressentiment des opposants qui pensent que le pouvoir a tenté, par une intervention musclée, de mettre fin au sit-in permanent place de l'Université. Tous les dirigeants de l'opposition ainsi que les députés indépendants et les représentants de la société civile participaient aux obsèques. Ce qui a été dénoncé par l'opposition comme un massacre continue de provoquer des défections au sein du pouvoir. La ministre des droits de l'Homme, Houda al-Baan, a annoncé avoir présenté sa démission du gouvernement et du parti au pouvoir, le Congrès populaire général (CPG), devenant le troisième ministre à quitter le cabinet. Le sous-secrétaire du même ministère, Ali Taysir, a pris la même décision. Vendredi, le ministre du Tourisme Nabil al-Faqih avait déjà quitté le gouvernement, et avait été précédé par le ministre des Wakfs (Biens religieux), Hammoud al-Hattar. L'ambassadeur du Yémen à l'ONU Abdallah al-Saïdi a également démissionné pour protester contre le massacre de vendredi, de même qu'une autre diplomate, Jamila Raja, pressentie pour être nommée ambassadrice au Maroc. En outre, 23 députés ont démissionné du parti au pouvoir, qui compte quelque 170 députés sur les 301 au Parlement. Les dignitaires religieux et les chefs de tribus, piliers du pouvoir, ont appelé dans un communiqué les membres des forces de l'ordre à ne pas obéir aux ordres de tirer sur les manifestants et rendu M. Saleh responsable du "massacre" du vendredi. Ils ont demandé le retrait de la garde républicaine, corps d'élite de l'armée, de Sanaa et le démantèlement de la sûreté publique, la police du régime, au moment où les manifestations ont continué dans le pays malgré l'état d'urgence décrété vendredi. L'union des écrivains a crié son indignation pour "le spectacle des morts" et en a rejeté la responsabilité sur le régime tout en appelant les Yéménites à s'unir face à un "pouvoir qui a perdu toute légitimité". Le patronat qui n'a que rarement pris ouvertement position sur les affaires publiques a ajouté sa voix aux critiques du régime, l'Union des chambres de commerce et de l'industrie dénonçant le climat de "corruption et de népotisme qui ne favorise pas les affaires".