Zouina a accompagné sa fille pour accoucher dans un CHU de la capitale. C'est son premier petit fils et elle a tenu à être présente jusqu'à la délivrance. On lui a conseillé l'hôpital car il est doté de tout l'équipement en cas de complications. Jusque là, sa fille a été suivie assidûment par un gynécologue. Sa grossesse est normale. Mais, le médecin lui a recommandé d'avoir une connaissance au niveau de la maternité pour que tout se passe bien. Le jour « J », Djaouida se présente avec son cabas à l'accueil du CHU de Kouba. Une sage femme l'ausculte et demande à la maman de lui faire, tout de suite, le billet de salle. Djaouida ne va pas tarder à mettre au monde son premier enfant. Immédiatement, on la monte au bloc, tandis que la maman part au bureau des admissions. Zouina arrive haletante devant la porte du couloir qui longe le bloc. Il est 9 h 10, elle demande des nouvelles de sa fille et le nom de la sage femme que l'on lui a recommandé. Une infirmière lui demande gentiment de sortir et d'attendre dehors. Zouina est impatiente. Ce qu'elle a vu dans le couloir dépasse la fiction. « C'est inimaginable ». Elle nous prend à témoin. « Mon Dieu, s'exclame t-elle, le couloir est transformé en chambre. D'un coté il a des femmes qui ont accouché et de l'autre, il y a des femmes qui vont accoucher, entre les deux, il y a juste un petit passage pour le personnel médical », dira t-elle. Pour le malheur de Zouina, la connaissance qu'on lui a recommandée a terminé sa garde. 9 h 30, l'infirmière du bloc lui annonce la naissance de son petit-fils. L'émotion est grande. Elle prend son portable et annonce la nouvelle à la famille. Entre temps, elle veut voir sa fille. Impossible lui répond t-on, il est encore trop tôt. Elle prend son mal en patience et avise sa sœur pour préparer à Djaouida du poulet, de la soupe, de la tisane et de la tamina. A onze heures, elle fait la connaissance de son petit-fils. L'émotion est grande et la déception l'est également. Et pour cause, sa fille partage un lit avec une autre, qui a accouché deux heures avant elle. « Cet hôpital est victime de la bonne réputation de son service celui de la maternité », soulignera une ancienne sage femme. « D'ailleurs, une clinique qui ne pratique pas des accouchements par forceps et césarienne envoie ses malades dans notre service », a-t-elle ajouté. DES ACCOUCHEES PAR TERRE Depuis sa mise en service, le service maternité de cet hôpital a été conçue juste pour huit lits. Mais la réalité dépasse l'entendement. Elles sont 48 au total à se partager les deux chambres et le couloir. A qui la faute ? « Cela nous dépasse et ne relève pas de notre compétence », dira la première infirmière. La seconde enchaîne : « Il faut ramener les gens de la télévision pour montrer la situation et comble du malheur, c'est nous qui essuyons les reproches et les insultes des citoyens ». Une parente d'une accouchée qui a entendu cette conversation souligne que le personnel de cette maternité est omniprésent. Il assure entre 20 à 35 accouchements en 24 heures. « C'est beaucoup par rapport aux normes et la charge de travail est conséquente », souligne une autre infirmière qui jure qu'elle fait le maximum et c'est parfois au dessus de ces forces. « Il m'arrive de sortir après une garde assommée par les cris des bébés, la souffrance de la mère qui accouche, le manque de syntocinon pour déclencher le travail et ce qui fait mal, par-dessus tout, le manque de place pour recevoir dans les règles », a-t-elle affirmé. « Le plus malheureux dans cette histoire est qu'il arrive que l'une des accouchées tombe du lit en se retournant », dira une autre. Cette même infirmière a secouru, il n'y a pas longtemps une malade qui s'en est sorti avec des ecchymoses et une autre a eu juste mal au coude. « Mais pour une accouchée, c'est trop et c'est malheureux » a-t-elle fait remarquer. Zouina aurait bien voulu que sa fille accouche dans une clinique privée avec toutes les commodités et la prise en charge médicale. Mais les échos qui lui sont parvenus lui ont fait changer d'avis. Elle avait peur que sa fille soit traumatisée par une césarienne alors que l'accouchement peut être fait par voie basse. Il fallait choisir et tout de suite. L'époux qui arrive entre temps a voulu parler au médecin. Ce dernier est appelé en urgence pour pratiquer une césarienne. Alors, entre temps, on pense au prénom. Une autre maman qui arrive pour faire sortir sa fille et sa petite fille garde un bon souvenir de l'équipe médicale et paramédicale. « Ils ont fait de leur mieux » dira t-elle. En guise de récompense, elle a distribué une rose à chacune des sages femmes et leur a offert de la tamina. 20 PARTURIENTES PAR CHAMBRE, INIMAGINABLE !!! Une des sages femmes est en colère. Elle n'admet pas qu'une césarisée soit mise nue sur un chariot toute la nuit et dans le couloir. « Du respect pour la vie humaine et pour les anges que nous mettons au monde », dira t-elle. « Ce ne sont pas les idées qui manquent ni les compétences. Juste une extension et le problème est réglé et tout le monde y trouve satisfaction », déclare t-elle. Cette femme expérimentée en a gros sur le cœur. Elle pratique son métier avec sérieux et abnégation mais sort du service après sa garde « dégoûtée » par l'exiguïté des lieux. « On doit respecter les femmes qui accouchent comme il se doit », n'a-t-elle cessé de répéter. « 20 accouchées par chambre », c'est simplement inimaginable. Les futures mamans sont « tiraillées » entre accoucher dans une structure privée avec toutes les conséquences fâcheuses comme le manque d'équipement et l'établissement public doté de tout le matériel et le manque de place. Un choix cornélien, en somme. Mais la satisfaction après 24 heures de travail, d'après cette responsable est le nombre de naissance vivante mise au monde. « Pratiquement aucun décès par manque de vigilance ou erreur médicale n'est enregistré », dira t-elle non sans un brin de fierté. Les seuls décès comptabilisés sont dus aux malformations cardiaques et autres pathologies génétiques. Quant aux mamans diabétiques et hypertendues, elles ont une prise en charge spéciale avant, pendant et après l'accouchement.