Deux à trois mamans partagent, bon gré mal gré, un lit, dans un environnement où l'hygiène manque cruellement. C'est assurément par la grâce de Dieu que le taux des décès maternels et infantiles, des conséquences des infections nosocomiales, demeure faible. “C'est mon premier bébé, vous savez. Je ne pouvais pas le mettre au monde dans un hôpital. Il paraît que les mamans sont mises à deux par lit”, témoigne une jeune femme, qui a accouché à la clinique privée d'El-Biar, la veille du 51e anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale. La rumeur, qui lui est parvenue durant sa grossesse, n'est qu'un pâle reflet de la réalité des services gynécologiques obstétriques des centres hospitalo-universitaires et des établissements publics de quartier. La maternité du CHU de Béni Messous est assourdie dans une cacophonie de pleurs de nourrissons, de gémissements de parturientes, de coups de gueule entre des commis d'étages et des proches insatisfaits et aussi de congratulations des visiteurs et autres conversations de circonstance. Les chambres, à peine assez grandes pour accueillir, chacune, deux lits bordés de deux berceaux, grouillent de femmes. Il est d'ailleurs difficile de distinguer, de prime abord, entre patientes et visiteuses. Quelques secondes sont nécessaires pour y voir un peu plus clair. Les jeunes mamans, en robe d'intérieur, s'approprient, deux à deux, les lits. L'une et l'autre recroquevillée à une des extrémités du la couchette. Les places sont en sous nombre dans un service qui ne désemplit pas, ni de jour ni de nuit. Il faut vraiment le voir pour le croire. Une fois sorties de la salle de travail, les accouchées n'ont plus droit au repos des braves. Z. K., trente-neuf ans, s'impatiente du retard de son mari, qui lui a promis de venir la chercher plus tôt. “J'ai hâte de retrouver mes autres enfants, mais surtout de quitter cet endroit. Je n'ai pas bien dormi depuis six jours”. Son séjour à la maternité s'est prolongé le temps que son bébé subisse divers examens médicaux. “J'ai souffert d'un pic de tension durant ma grossesse. Les médecins veulent s'assurer que le bébé n'a rien” . Devant la lenteur des procédures à l'hôpital, l'époux s'est résolu à effectuer les analyses exigées dans un laboratoire privé. “La première nuit, j'ai partagé le lit avec une femme qui sentait mauvais. Je n'ai pas pu fermer l'œil malgré les douleurs et la fatigue post-accouchement”. Après le départ de sa voisine, elle rusait pour n'avoir plus à subir une expérience aussi désagréable. “Quand une nouvelle patiente se présente, je montre une couverture roulée en boule couverte d'un drap en disant qu'il y a déjà une autre femme avec moi dans le lit. Dès qu'elle part, je me mets à l'aise pour dormir un peu”. Le mari arrive enfin. Z. K. lui montre un cabas et prend son nourrisson du berceau. Aussitôt, une dame d'un certain âge dépose sur le lit libéré, les affaires de sa fille, laquelle faisait les cents pas dans le couloir, attendant que les contractions se rapprochent. Même ambiance dans les autres chambres où les cafards ont élu domicile. Les matelas sont maculés de sang séché. Les couvertures crasseuses (heureusement que les patientes utilisent une literie ramenée de la maison). Dans l'une des salles, les visiteurs tentent tant bien que mal d'éviter une flaque d'urine. “J'ai un haut le cœur quand je vois ça. Je n'avais pas prévu d'accoucher ici. Mais j'ai perdu la poche des eaux plus tôt que prévu. C'était l'hôpital le plus proche de la maison puisque j'habite à Bouzaréah”, témoigne une femme qui a mis au monde, six jours auparavant, son quatrième enfant. Les patientes se plaignent du manque d'hygiène. Le personnel médical et paramédical aussi. “Les femmes ne font pas attention. Certaines jettent de la nourriture dans les lavabos ou les toilettes, ou laissent les ordures sur place à leur sortie. Nous avons aussi un gros problème de recrutement du personnel d'entretien”, indique la surveillante en chef. Deux femmes de ménage travaillent durant la journée et quatre sont, théoriquement, de service de 19h à 8h. L'équipe du soir est souvent amputée d'un ou deux membres, absents sans motif. Notre interlocutrice cite le cas d'une salariée qui n'a pas pointé à son poste depuis 4 mois. “Elle est suspendue. Mais l'administration a du mal à la remplacer, comme pour les autres”. Elle affirme que les femmes de ménage recrutées par l'hôpital pour la maternité s'en vont au bout de quelques semaines.“Elles ne veulent pas travailler là où il y a beaucoup de sang et une charge de travail plus importante que dans les autres services”, explique-t-elle. “Dieu est avec nous, car nous n'avons pas eu, jusqu'alors, des infections nosocomiales”, se félicite le Pr Ladjali, chef du service. “La pression est trop lourde sur la maternité. Le personnel médical et paramédical est dépassé. Une infirmière assure le suivi de 40 lits. Il faut multiplier ce chiffre par deux ou trois en fonction du nombre de leurs occupantes. Comment voulez-vous qu'il n'y ait pas de tension ?” affirme-t-il. Environ 35 accouchements sont pratiqués quotidiennement à l'hôpital de Béni Messous pour une capacité d'accueil de 22 places. Douze autres lits sont réservés aux grossesses à haut risque, douze aux patientes souffrants de pathologie gynécologie et huit aux post-opérés. “Quand les salles des post-opérés sont saturées, nous débordons sur celles des accouchées”, rapporte une anesthésiste, qui ajoute que le service reçoit environ 40 consultations d'urgence par jour. “La réception des urgences n'est pas sectorisée, d'où la grande affluence des femmes enceintes, ou présentant un problème gynécologique vers ce CHU, qui dispose d'un bloc opératoire (césarienne), de trois salles d'accouchement, d'une salle de curetage et d'une autre pour la prise en charge du nouveau-né”, souligne la surveillante en chef. L'équipe médicale de garde, formée par cinq médecins (un maître assistant et quatre résidants), un à deux anesthésistes, trois à quatre sages-femmes et une puéricultrice, est souvent débordée par le nombre de parturientes à prendre en charge. Elle est impuissante devant le manque de moyens. “Il nous est arrivé de procéder à l'accouchement puis d'évacuer les bébés vers d'autres structures — généralement vers l'hôpital de Zemirli, de Koléa ou le CHU Mustapha-Pacha — car nous ne trouvons pas assez de couveuses”, raconte un gynécologue. “Ce sont souvent les parents qui assurent le transfert par leurs propres moyens”, précise-t-il. Une situation aussi préoccupante est observée dans les services obstétriques de l'ensemble des établissements sanitaires de la capitale. Un constat amer qui chagrine tant le personnel médical que les mamans et leurs proches. S. H.