Prenez le cinéma ou la littérature. Les héros issus du monde rural y foisonnent et ont marqué les esprits. Boubegra, ou Hadj Lakhdar plus récemment, en sont des archétypes achevés. Par contre, il s'avère plus difficile de retenir et citer le personnage d'un travailleur. Il est nettement moins présent que le paysan, le combattant, l'émigré ou l'affairiste sur nos écrans et dans nos livres. Il faut y voir avant tout l'effet de la forte représentation des campagnes et de leur symbolique dans le processus de libération puis de reconstruction du pays. Beaucoup de films qui évoquent la ville, la vie citadine abordent souvent l'exode rural. « Leila et les autres » de Sid Ali Mazif, une exception ? Les scènes avaient beau se dérouler dans des ateliers. En vérité, il traitait du problème de la femme et de ses difficultés dans le monde professionnel. Bouamari avec « Le charbonnier » ou « Sueur noire » de Mazif. Ce dernier a été réalisé en 1972, la même année que « Le journal d'un jeune travailleur » d'Ifticène. La révolution agraire et les mutations du monde rural auront, en tout cas, suscité davantage de productions écrites ou filmées. Qui peut oublier « Noua » ou « Le vent du Sud » ? Mohamed Chouikh, qui incarnait Arezki, un ouvrier d'usine dans « Elise ou la vraie vie », est l'un des rares ouvriers dans le cinéma algérien. Le film de Michel Drach coproduit par l'Algérie traitait de l'émigration. L'ouvrier, dont la silhouette était présente justement dans les films sur les dures conditions de l'exil, était en quelque sorte un symbole. Celui des dures réalités liées directement et exclusivement à son statut. TERRAIN EN FRICHE Peu aura été écrit aussi sur le mouvement ouvrier en Algérie, sur ses hommes ou ses dates marquantes. De tous ceux qui ont dirigé l'UGTA, personne n'aura laissé un écrit. On connaît toutefois Aissat Idir à qui Mohamed Farès a consacré en 1992 une minutieuse biographie préfacée par le regretté Mahfoud Kaddache. Hacène Aissat, son frère, a également retracé la vie de son frère. L'aspect historique transparaît aussi à travers des mémoires d'hommes qui ont pris part à la naissance de la Centrale syndicale. On trouve de précieux témoignages dans celles de Rouiched ou d'Ali Yahia Abdenour. On ignore trop souvent que le premier fut condamné en janvier 1959, lors d'un procès devant un tribunal militaire qui avait conduit à l'emprisonnement des cadres de l'UGTA, comme Aissat Idir, Rezki Bouzerina et de militantes comme Fettouma Ouzegane. Boualem Bourouiba avec « Les syndicalistes algériens, leur combat de l'éveil à la libération » a fourni de nouvelles données d'une grande valeur historique. Ces dernières années, on constate que beaucoup de syndicalistes prennent la plume pour relater leurs parcours, et à travers leur expérience se dévoilent des pans importants de l'Histoire du pays. Le dernier livre est celui d'Abdelmadjid Azzi, l'ancien secrétaire général de la Fédération nationale des retraités entre 2002 et 2008, qui dans « Le syndicalisme algérien à l'épreuve de l'indépendance », remonte le cours du temps pour révéler les enjeux de grandes batailles syndicales des vingt années qui ont suivi l'Indépendance. Lakhdar Kaidi a également retranscrit ses souvenirs qui permettent de comprendre surtout les liens entre la question politique et sociale. Le champ universitaire n'a jamais été en retrait. De nombreuses thèses de recherche ont été consacrées au monde ouvrier. Ces dernières années, les publications du sociologue Nacer Djabi font autorité. Il a produit notamment une thèse sur les mouvements de grève. Son autre livre de référence « Du mouvement ouvrier syndical aux mouvements sociaux » a été publié en 2001. Il est une véritable plongée dans l'histoire des réalités du monde ouvrier. Le Centre de recherches en économie appliquée pour le développement (CREAD) compte aussi des chercheurs, à l'instar de Mohamed Saïd Musette, qui s'intéressent aux nouvelles formes de travail comme l'informel. Des terrains de recherche restent encore en friche, comme l'émergence des syndicats autonomes ou le travail des femmes. L'UGTA avait naguère une revue Révolution et travail où de nombreuses études à caractère historique ou sociologique trouvaient place. De nos jours, l'absence d'une telle tribune se fait cruellement sentir.